Sadoud Ahmed , Universitaire

Réussir la transition : Pour une loi constitutionnelle de transition et une Cour constitutionnelle de contrôle

El Watan, le 21 avril 2019

La rupture et la transformation systémique sont des moments de vérité et d’implication citoyenne. Sortir d’un ordre configurationnel et l’entrée dans un autre sont des processus insécables, complexes et s’inscrivant dans des environnements incertains.

Les modes de traitement de la complexité que de l’incertitude dépendent des «compromis institutionnalisés» qu’établissent les acteurs efficients aux changements qu’on veut imprimer. La négociation ou le partage de la contrainte de changement est au prolongement des forces de la Révolution démocratique en cours. Les instruments institutionnels, les types de pouvoirs à instituer et les types de contrôles à établir sont impensables en dehors de la légitimité des forces du changement.

Ce changement suppose des efforts novateurs pour repenser l’Etat et reconfigurer le champ politique. Dans cette perspective, deux débats ont leur importance. Le premier est relatif la mise en place d’une Assemblée structurante qui englobe et qui dépasse le cadre de la Constituante.

Le problème ne réside pas seulement dans l’édification des référentiels constitutionnels mais fondamentalement dans l’effort à déployer pour récréer le champ politique et la réédification de l’Etat national. Le deuxième, plus controversant, est de discuter de l’institution militaire dans ses rapports à l’Etat en régime démocratique.

A. L’armée : un recentrage sur les questions de défense et de sécurité

Pour l’analyse de la position de l’armée dans le champ du pouvoir, de ce qu’elle était ou de celle que certains voudraient bien lui faire faire, l’objectivité de l’analyste contributeur est de se soustraire à la vie d’acteur, porteur d’une stratégie subversive ou de conservation.

Ce qu’on peut tirer comme enseignement de la logique de fonctionnement du champ politique, des expériences des autres ou de ce que véhiculent les expériences académiques sur le sujet, c’est la nécessité d’une autonomie de l’institution militaire du champ politique. C’est un ressort essentiel de la reconstruction du pays sur une voie de démocratisation. Il y a au moins quatre éléments justificatifs :

a)- Le commandement d’une armée est avant tout composé d’hommes et en tant que tels ils ont des structures subjectives qu’on ne peut considérer comme dénuées de toute vision politique.

La genèse de la vision et des intérêts est très concluante. Même les trajectoires déchirées d’hommes politiques qui ont mené une vie à califourchon : un pied dans le militaire et un autre dans la vie politique ne peuvent pas échapper à la loi de l’incorporation des règles de fonctionnement du système politique (un chef militaire d’un plus haut grade ne pourra pas se suffire à une présence figurative dans le champ politique ou du pouvoir pour une forte raison).

b)- La lourde tâche du commandement militaire est un facteur suffisant pour plaider en faveur de cette autonomie. Celui-ci ne peut pas s’encombrer d’une implication dans la gestion politique d’un pays au moment où de nouveaux enjeux sécuritaires apparaissent, des évolutions technologiques à maîtriser et un pays continent à défendre. Ce qui est attendu de notre armée, c’est d’accroître ses capacités organisationnelles et opérationnelles.

Ses capacités dissuasives ont des portées géostratégiques et concourent à l’augmentation de la capacité d’influence de la nation à la même échelle. c)- L’armée doit cesser de se considérer comme le seul vivier de cadres ou d’hommes d’Etat. La mise en perspective historique montre que l’incubateur d’où se ressourçaient les partis était la clandestinité. La persistance dans la restriction des libertés a été pour beaucoup dans la destruction ou les effets d’éviction qui ont beaucoup travaillé à l’amincissement de la vie politique et des partis en tant que formateurs.

d)- L’implication de l’armée pourrait faire émerger ou réveiller une communauté de vision pour consacrer une domination des intérêts régionalistes. Les forces du changement ont vraiment pris une avance sur la classe pensante dont le seul intérêt est de revenir à une date ou une période faste de leur existence politique. Ces forces imposent un principe de vivre ensemble qu’il importe de conceptualiser sans hésitation, sans calcul et sans aucune réduction.

B. Une Assemblée structurante : référentiels constitutionnels et reconstruction du champ politique et bureaucratique

La Constituante, et la Constitution qu’elle cherche à réécrire, n’échappe pas aux écueils qu’elle cherche à résoudre. D’ailleurs, comme cadre de solution aux divergences des luttes dans la société, la Constituante ne trouverait pas toute sa pertinence dans le contexte politique algérien.

L’interchangeabilité nous livre une mobilité entre partis, dont certains transfuges intéressés sont l’élément le plus éclatant, et qui nous amène à nous interroger sur les visions idéologiques et leur diffusion intra-organisationnelle dans les «formations politiques». Les partis ne forment pas des communautés de visions idéologiques, c’est-à-dire des systèmes d’idées partagées avec une certaine cohérence.

L’appartenance partisane se règle par le rattachement des participants au chef en raison des crédits qui lui sont accordés. Le charisme du chef joue comme un pendant à la coordination de la vie organisationnelle du parti. Le champ politique est à réinventer en Algérie. La Constituante se voit comme une voie négociée qui conduirait à un compromis entre des forces antagonistes du champ politique. Or, les divergences idéologiques ont cessé d’être les inducteurs des luttes qu’on peut y observer. Celles-ci prennent d’autres formes car ces divergences se trouvent souvent au niveau des intérêts nus.

Les produits de ces luttes ne sont pas seulement accompagnés par un déplacement des frontières de l’électorat, mais douloureusement par des passages idéologiquement injustifiés vers un redoutable concurrent, qui ne peut être que le parti-Etat dans notre cas. La Constituante est une Assemblée qui se donne pour tâche d’élaborer une Constitution.

C’est un schéma qui n’est aucunement en rupture avec celui qui a servi à la confection des différentes Constitutions qu’on a connues depuis l’indépendance. Une Loi fondamentale n’est pas une compilation de principes juridiques réglant le fonctionnement institutionnel, politique, économique,… il y a règle et régularité que les constutionnalistes confondent généralement sans le savoir.

Les régularités peuvent être identifiées et reconstituées à partir de ces forces du changement en mouvement et dont les formes expressives sont des références qui ne mentent pas pour jeter les jalons constitutionnels de l’Algérie de demain.

Le problème fondamental n’est pas dans le contenu de ce document mais dans la structuration de l’espace démocratique. On sait réfléchir en tant que parti, mais on ne sait pas le faire en tant qu’ensemble de partis. Il nous faut certes des référentiels juridiques à respecter par tous, mais aussi d’une façon déterminante à structurer la vie politique de la nation. Dans cette perspective, l’Assemblée structurante inscrit dans ses prolongements la nécessité :

– De rendre effective l’autonomie du champ politique du champ plus particulièrement bureaucratique. On ne peut batailler sur le champ politique avec un parti qui contrôle tout l’espace institutionnel. Le méga-parti, issu d’un travail de ramification destiné à produire l’image d’une pluralité de façade, contrôle tout le processus électoral depuis la convocation du corps électoral jusqu’à l’annonce des résultats. La fraude n’est pas de prendre un siège qui revient légitimement à autre, mais de bafouer la loi, de légitimer les passe-droits et de protéger les corrompus.

– De dissoudre les structures politiques, syndicales, médiatiques héritées de l’histoire commune de toutes les Algériennes et de tous les Algériens.

Ces structures ont des visions du monde totalitaires qui contredisent l’égalité de conditions qui est aux fondements du fonctionnement des jeux démocratiques. Il ne s’agit pas de dénier au personnel du méta-parti au pouvoir le droit d’exercer leurs libertés politiques mais de consacrer l’autonomie des sous-univers institutionnels de contrôle du pouvoir politique. Ainsi, cette autonomie, comme l’un des piliers de l’Etat de droit, est aux antipodes de l’état velléitaire qui survient de l’atrophie de l’Etat, qu’on vit dans les rendez-vous de la succession, de l’affaiblissement de la souveraineté nationale qui y va de pair.

L’Assemblée structurante devrait aussi repenser les instruments de représentation et de contrôle de l’Etat. De ce fait, l’APN, l’APW, l’APC et le Sénat seront appelés à céder leur place à d’autres instruments de représentation respectueux des spécificités spatiales du pays, des exigences d’une vie citoyenne, de la responsabilité devant les électeurs. Ces formes institutionnelles construites pour les besoins des successions internes et de la gestion clientèle et des personnes influentes au sein du sérail doivent partir pour projeter la nation dans le cadre d’un idéal démocratique nouveau.

Il en va dans l’intérêt de la crédibilité des institutions et de la réparation de la personnalité et l’image de l’élu, discrédité par l’appartenance à des organes de façade et par les logiques d’allégeance exigées par le fonctionnement systémique. Aussi, un Parlement citoyen d’Algérie serait le bienveillant pour dépasser les séquelles laissées par l’hémicycle et le Sénat et leur caractère dispendieux.

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