Professeur Rachid Ouaissa, Marburg

Le bouteflikisme c’est quoi ?

Le Matin d'Algérie, le 03 mars 2019

Le bouteflikisme est le système politique instauré par l’actuel président de la république depuis 1999.

A la différence du kémalisme et du bourguisme, tous deux s’inscrivaient dans une dynamique nationaliste, laïc et moderniste, le bouteflikisme n’est pas un projet de société, mais une technique de gouvernement (Foucault). Ce dernier est un instrument politique de maintien du statut quo, c’est à dire un équilibre de stagnation.

Le bourguibisme et le kémalisme, deux visions autoritaires qui se voulaient comme réponses nationalistes aux défis du sous-développement. Elles véhiculaient des projets de société dans le sens de la dictature pédagogique léniniste. Inspirés des modèles de développements européens, le kémalisme dans les années 1920 et le bourguisme dans les année 1950 et 60 voulaient moderniser la société en l’éduquant.

Le bouteflekisme lui aussi s’inscrit dans une dynamique internationale, caractérisée par le retrait de l’état, et le primat de l’économie sur le politique. C’est la traduction nationale du néolibéralisme mondiale. Remplaçant les grandes idéologies épuisées après la fin de l’URSS, le néolibéralisme s’impose partout dans les pays du sud. Le bouteflikisme c’est l’incarnation du néolibéralisme décoré d’un nationalisme de façade. Le bouteflikisme c’est de l’Algérie un client des forces extérieures, comme faire de la société un client de l’Etat. Ainsi le bouteflikisme joue le rôle de comprador, donc d’intermédiaire entre les groupes d’intérêts mondial et les groupes d’intérêts locaux.

Le bouteflikisme n’a pas d’idéologie claire. Pour comprendre le bouteflikisme il suffit de déchiffrer les tendances politiques de la prétendue alliance présidentielle. Bouteflika est soutenu par une alliance hétérogène réunissant des éléments rétrogrades et des éléments modernistes. Les membres de cette alliance n’ont ni un projet de société commun, ni une vision économique claire. Pendant que le FLN, un mélange d’arabo-Baathistes, inspire les nostalgies du passé, le RND par contre se veut représentatif d’un nationalisme modern. Associés à ces deux partis nous trouvons le TAJ comme représentant de l’islam politique modéré et le MPA qui se dit laïc et moderniste. Ainsi le bouteflikisme est un coquetel d’idées et un bricolage d’idéologies contradictoires et d’acteurs plutôt pragmatiques et opportunistes.

Economiquement le bouteflikisme est basé sur le capitalisme de connivence (crony capitalisme). Ce dernier décrit une économie où le succès en affaires dépend de relations étroites avec les sphères du pouvoir. Il fonctionne sous forme de favoritisme dans l’attribution de permis légaux, de subventions gouvernementales, de réduction d’impôts ou d’autres formes d’interventionnisme. En Algérie l’économie trabendiste est réincarnée par le FCE. A ceci s’ajoute le népotisme, qui veut dire favoriser l’ascension des membres de sa famille dans les affaires et dans la politique, au détriment des processus de sélection ordinaires, du mérite et de l’intérêt général.

Le bouteflikisme c’est cette alliance entre des groupes politiques sans projets de société clairs et communs avec l’économie trabendiste ou de bazar. S’ajoute les élement khaldouniens de assabya familiale et tribale. La base commune de ces groupes hétérogènes est l’accès et le partage la rente. Contrairement à la bourgeoisie européenne qui a pris le pouvoir en produisant, modernisant l’économie et mettant ainsi fin au féodalisme, le bouteflikisme bloque toute sorte d’économie productive, de crainte qu’il naisse une classe sociale productive et économiquement indépendante de l’état. Le bouteflikisme est basé sur les devises acquise de l’exportation du gaz et pétrole.

Politiquement le bouteflikisme n’est ni une dictature ni une démocratie, mais il mélange les éléments des deux formes. C’est un système hybride, basé sur le populisme, le clientélisme, le favoritisme et le népotisme. Les différentes couches et groupes de la société sont ainsi liées par patronage au bloc au pouvoir.

Le bouteflikisme a instauré une culture politique typique. C’est la culture du post-politique où de l’apolitique. On assiste à une dépolitisation du quotidien en faisant de la politique non pas un domaine de l’antagonisme, de conflit des idées et de la controverse, mais plutôt un domaine de consensus. Le consensus est, de par sa nature, une notion non-démocratique visant à désapprouver tout argument anticonformiste.

Le consensus veut dire transformer les luttes politiques en luttes morales et religieuses. Ainsi, les adversaires politiques deviennent des ennemis de la morale établie. Comme l’a décrit Chantal Mouffe plus de « right and left » mais de « right and wrong » (plus de droit et de gauche, mais du vrai et du faux). Déjà la philosophe allemande Hannah Arendt a averti du danger de bourrer le domaine politique par des dogmes morales/religieux et faire des citoyens des communautés de frères et sœurs, appelés à obéir à la tête comme les membres de la maisonnée obéissent au pater familias.

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