Indicateurs de la sécularité
La sécularité et le droit : la laicité
La laicité en Algérie
La laïcité est une notion juridique qui traduit une séparation formelle des organes religieux et les institutions de l’État ce qui donne une double incompétence de l’État en matière religieuse et du religieux en matière du Droit.
Si le mot laïcité est utilisé et connu dans le débat politique algérien, cela est dû principalement à l’histoire coloniale. Le mot laïcité est liée généralement à l’histoire politique en France, qui a engendré une séparation entre la religion et l’État survenue avec le concours du droit par une loi formelle (loi de 1905) qui a mis fin à un conflit État-Église catholique qui a duré plus d’un siècle. Ce qui place la France dans une position singulière dans le processus de la modernité politique avec une sécularisation positive et forcé contrairement à tous les autres pays qui sont rentré dans la modernité avec un processus plus au moins apaisé de sécularisation et de laïcisation.
Il ne faut pas cependant brûler les étapes du raisonnement et conclure hâtivement, sous prétexte que la laïcité dans sa traduction institutionnelle résultant de l’histoire particulière de la France, qu’elle ne fait que répondre à un problème exclusivement français. En France la sécularisation et la laïcisation constituaient un seul et même processus, donnant naissance à une conception de « la modernité républicaine, radicale et positiviste, imposant une séparation nette du spirituel et du temporel, du politique et du religieux ». Dans le reste de l’Europe comme en Amérique et le reste du monde, la sécularisation s’est réalisée sans grande confrontation avec le pouvoir du clergé. Cette sécularisation a donné naissance à une forme « douce » de la laïcité, à tel point que Tocqueville considérait cette entente entre la religion et la politique comme l’un des éléments fondateurs de la démocratie en Amérique.
Dans cette optique, la laïcisation ne serait dès lors qu’une simple modalité juridique parmi d’autres d’expression de la distanciation, du désengagement de l’État par rapport à la religion. Aussi, il faut signaler qu’une laïcité parfaite n’existe nulle part et que le modèle de laïcité français est le plus abouti alors qu’il porte en lui plusieurs exceptions au principe de séparation des cultes et de l’État, comme la loi sur le concordat qui reste encore applicable en Alsace et Lorraine.
Ce qui nous amène à dire que tous les États modernes sont laïcs, c’est-à-dire que la religion ne dicte plus le droit positif et aussi la société française comme toutes les sociétés qui sont rentré dans la modernité sont des sociétés qui se sont entièrement sécularisées mais c’est le processus de sécularisation qui diffère d’un pays à un autre. Ceci nous permet de faire le lien et d’introduire la deuxième notion, la sécularisation.
La perversion et limite d’un article : Le 144, bis 2 du code pénal algérien
Le premier avril 2021, nous avons assisté encore une fois à un procès qui a été instruit sur la base de l’article 144, bis 2. Ce n’est pas le seul et, peut être, ne sera pas le dernier procès qui sera intenté sur la base de cet article, qui défraie la chronique judiciaire à chaque fois. En effet, depuis la promulgation de cette loi en 2002 plusieurs affaires ont été déférées devant le juge et plusieurs personnes ont été poursuivis sur la base de ce même texte.
Avant de revenir sur les perversions et le détournement d’interprétation faits à cet article, arrêtons-nous un peu sur les principes du droit pénal en général. En effet, le droit pénal algérien, comme tout droit pénal moderne repose sur des principes philosophiques fondateurs.
Tout d’abord, l’existence d’un contrat social, qui en est le fondement même du droit de punir. Le contrat s’exprime dans des lois élaborées par le législateur, représentant de la société, et le citoyen accepte donc par avance la peine qui sanctionnera la violation du contrat en délégant à l’Etat le principe de la violence légitime et le parquet reste le garant de l’ordre publique.
Ensuite, le principe fondateur du droit pénal est la légalité des peines, véritable clé de voûte de l’organisation répressive dans un Etat de droit. « Nullum crimen, nulla poena sine lege ». En vertu de cet adage, la loi est source unique de droit pénal. Autrement, dit, la peine prévue par la loi, doit être définit explicitement, fixe, certaine, et proportionnée à la gravité de l’infraction. Le principe de légalité suppose donc l’absence de répression sans texte préalable. Le respect des libertés individuelles impose que chacun soit en mesure de savoir ce qui est permis ou non afin d’adapter son comportement.
Sinon toutes atteintes portées par un individu aux valeurs protégées de la société, appelée infraction pénale, fait l’objet d’une mise en œuvre de l’action publique par le procureur de la République.
Le droit pénal se caractérise aussi dans la culture de son autonomie par rapport aux autres branches du droit.
Ces principes fondateurs sont repris dans le droit algérien et le code pénal, annonce dans son article premier – Il n’y a pas d’infraction, ni de peine ou mesures de sûreté sans loi- de cet article, il en découle bien que la loi, est la source formelle et unique de droit pénal algérien. Ce qui veut dire que le juge algérien ne peut pas prononcer de peine si l’infraction n’est pas formellement définie.
Ce principe a été rappelé aussi explicitement dans la nouvelle Constitution de décembre 2020 dans son article 44, qui annonce que : Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les conditions déterminées par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites.
Le principe de Légalité de la peine évoqué par la Constitution, et inscrit en premier dans le code pénal algérien mets le droit pénal algérien dans la modernité, et exclut définitivement de son champ les autres sources du droit. De ce fait, le droit pénal musulman par exemple n’a pas de cité dans la législation pénale algérienne. Ce qui rend l’article 2 de la Constitution obsolète en matière pénale. Les infractions et sanctions qu’édicte le droit pénal musulman ne sont pas prévues ou intégrées dans le code pénal algérien, et si elles sont intégrées comme le vol, les punitions n’ont rien à voir avec ce que prévoit la loi coranique. Ceci à la différence de ce qui se passe en Iran ou en Arabie Saoudite, qui prévoit l’amputation pour les voleurs, la lapidation pour les femmes adultères, la condamnation à mort pour les homosexuels, la falaqa (flagellation de la plante des pieds) pour certains délits tels que la consommation illégale d’alcool. Dans tous les cas, dans le droit pénal algérien, la prison ou des amendes sont les seules peines prévues, mais jamais de châtiments corporels (exception faite de la peine de mort sur laquelle un moratoire existe depuis 1993).
L’absence de droit pénal musulman et d’autres sources dans le droit pénal algérien, n’exclut pas l’existence d’infractions liées à la religion. C’est l’objet de l’article 144, bis 2 introduit en 2002, suites aux polémiques sur la religion en Europe. Le législateur algérien a introduit cet article pour protéger les symboles religieux de toutes atteintes.
Art. 144 bis 2. (Nouveau) – Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de cinquante mille (50.000) DA à cent mille (100.000) DA, ou l’une de ces deux peines seulement, quiconque offense le prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen. Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public.
C’est le texte de cet article, importé d’Egypte dans sa version arabe qui pose problème dans la pratique. Son caractère général a ouvert une brèche pour certains magistrats du parquet pour l’interpréter à leur guise alors que le code pénal est assez clair dans son article premier. C’est ce qui a été constaté dans la réalité du terrain judiciaire, en effet, le texte de l’article a été utilisé à tout va, en témoignent d’ailleurs de nombreuses affaires : Arrestations de non-jeûneurs, Biskra (2008), Tizi Ouzou (2010), Annaba (2020). Les délits de chrétienté, Habiba Kouider (2008), Slimane Bouhafs (2006) …etc. Alors qu’il n’existe aucun texte juridique concernant la non-observance du jeûne, ni la fermeture des restaurants pendant le Ramadhan, ni de condamnation de la pratique d’une religion autre que musulmane.
En effet, la justice algérienne applique maladroitement l’article 144 bis 2 du code pénal et l’engagement de l’action publique dans toutes ces affaires ainsi que les condamnations prononcées sont infondées juridiquement, et constituent une atteinte au principe de la légalité des infractions et des peines, universellement admis, garantie et repris par les articles 44, 47, 139, et 142 de la Constitution, et réaffirmé par l’article premier du code pénal stipulant : «Il n’y a pas infraction, ni de peines ou de mesures de sûreté sans loi».
Par conséquent, et à défaut d’une loi incriminant expressément et directement le non-respect du jeûne, la fermeture des restaurants et café pendant le Ramadhan, ou la critique de la religion ….la question qui se poserait dès lors est la suivante : comment est-on arrivé à une interprétation permettant l’exercice de l’action publique sur la base de l’article 144 bis 2 ?
L’objectif du législateur à travers l’article 144 bis 2 est de protéger les envoyés de Dieu, et les préceptes de l’Islam contre tout outrage public. L’interprétation faite est extensive de l’article.
Considérant que le jeûne est l’un des piliers de l’Islam, le non-respect de ce précepte est une atteinte à l’Islam lui-même. Tel est le raisonnement interprétatif suivi par la justice pour légitimer les poursuites pénales contre les non jeûneurs par exemple.
De ce fait, au lieu de se contenter d’une interprétation stricto sensu du contenu de l’article 144 bis 2, les juges-législateurs se sont accaparé le pouvoir de producteurs des lois pénales, jusqu’alors domaine réservé exclusivement au législateur en vertu de l’article 114, 139 de la Constitution 2020.
Ainsi donc, avec le raisonnement consacré dans toutes les affaires liées à la religion, conduirait à la condamnation également de tout citoyen non pratiquant de la prière, et qui se promènerait dans la rue un vendredi durant salate el djoumou3a et ceux qui ne se sont pas acquittés de la «Zakat», ou tout autres préceptes !
Manger publiquement durant Ramadhan peut être considéré comme un trouble à l’ordre moral de la société mais, en aucun cas, un trouble à l’ordre public ou une atteinte au Prophète ou une offense à l’un des préceptes de l’islam. Aucun texte de loi ne réprime l’atteinte à l’ordre moral.