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Akufi nt Tikta

Une contribution pour le cinquantenaire de l'indépendance

TSA, le 5 juillet 2012

Aujourd’hui, le 5 juillet 2012, je voudrais partager, avec mes sœurs et frères algériens, une modeste opinion, sur l’histoire et le devenir de l’Algérie. Je n’ai pas été témoin de la guerre de libération, ni de l’indépendance, mais je suis témoin, comme nous tous, des échecs de ce qui aurait dû être notre renaissance. Les algériens en tant que peuple ne sont toujours pas la source de la souveraineté et de la légitimité politique de notre pays.

Ces quelques lignes reviendront, en guise d’introduction, sur l’origine et la nature de l’engagement pour l’indépendance, qui avant toute chose est politique. La première partie tente d’expliquer notre échec à édifier un Etat démocratique et républicain garant de l’intérêt général et des libertés, et la deuxième partie aborde des propositions concrètes qui constituent, à mon sens, la clé de voûte de la démocratisation. Enfin, la conclusion portera sur quelques convictions liées à notre patrie : Al Djazāir !

Le Mouvement National a été le berceau de la révolution algérienne. Il fait suite à la fin de la Première Guerre Mondiale, et de la ratification du Traité de Versailles, qui a repris l’idée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que le Président des États-Unis Woodrow Wilson annonçait parmi ses fameux 14 points. Porté par l’Étoile Nord-Africaine, le Mouvement National, dont la nature était exclusivement politique, avait pour but d’assurer au peuple algérien son droit à l’indépendance. Le Mouvement National a façonné la scène politique algérienne, il a donné, à la suite de la Deuxième Guerre Mondiale et des événements tragiques du 8 mai 1945 en Algérie, un témoignage fort de la grandeur du peuple algérien : une révolution qui a marqué l’histoire du 20ème siècle ; la Guerre de Libération Nationale.

Le déclenchement de la révolution le 1er novembre 1954 est venu rendre aux algériens, dit musulmans à l’époque, la souveraineté qu’il leur a été ravi par la colonisation. Dans cette entreprise, le Front de Libération National (FLN) s’est imposé, parfois avec violence, comme l’unique représentant légitime du peuple algérien dans sa lutte pour l’indépendance. Notre peuple a adhéré à l’appel du 1er novembre dont l’esprit reste intact, c’est l’essence même de l’Algérie moderne. L’appel prévoit un seul but « l’indépendance nationale » par (extrait de l’Appel du 1er novembre 1954) :

1) La restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques.

2) Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions. 

Les valeurs du 1er novembre sont sacrées car elles sont l’émanation de notre peuple, l’unique détenteur légitime de la souveraineté. Mais il se trouve, après 50 ans d’indépendance, que nous avons échoué à concrétiser le but de la révolution, que nous avons échoué à instaurer un Etat digne du 1er novembre et que nous sommes bien loin de garantir les libertés fondamentales pour lesquelles nos aïeux se sont sacrifiés.

Ce constat est partagé par une grande majorité d’algériens, il n’a absolument rien de nouveau. Nous nous devons donc de le comprendre et de le dépasser, afin de réaliser notre vœu d’une Algérie meilleure.

Au début de la Guerre de Libération, notre peuple, qui aspirait à la citoyenneté dans une Algérie indépendante, a adhéré au projet du FLN. Cet acte représente une des toutes premières formes de contrat social dans l’Algérie contemporaine. Ainsi donc, le FLN a été propulsé sur la scène politique, soutenu avec force par l’Armée de Libération Nationale (ALN), sa véritable colonne vertébrale. En juillet 1957 fut créé le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) pour porter la voix du FLN et de l’indépendance aux quatre coins du monde. À cette occasion, le Politique reprenait ses droits sur le Militaire.

Cependant, le congrès de Tripoli, d’août 1961, a consacré une nouvelle fois la primauté des militaires (de l’intérieur du pays) sur les civiles (du GPRA dont la quasi-totalité des membres était à l’étranger), causant des luttes fratricides entre certaines wilayas de l’ALN pour le contrôle de l’Etat naissant. Finalement, c’est l’État-major Général (EMG), aux frontières Est et Ouest de l’Algérie, qui a pris possession du FLN et de l’ALN, et par conséquent de l’embryon de l’Etat algérien. Dans la foulé, le nouveau pouvoir a imposé un nouveau modèle politique dont la premier acte a été de confisquer l’indépendance aux algériens.

Ce modèle politique reposait, et s’efforce toujours de reposer, sur l’usurpation de la souveraineté du peuple contre l’octroi des prestations sociales et des biens proscrits aux algériens durant l’ère coloniale. Ainsi la politique devint le domaine réservé d’une poignée de privilégiés, qui ont non seulement pris possession de l’Etat et de ses institutions, mais qui en plus ont transformé les vecteurs de la révolution, qu’étaient le FLN et l’ALN, ont leurs propriétés privés. Ces privilégiés sont liés, les uns aux autres et à leurs courtisans, par un système de valeur commun reposant sur la corruption, le népotisme et le clientélisme. On a fini par qualifié ces usurpateurs par décideurs, pouvoir, régime ou encore système.

L’Etat socialiste, acteur économique principal et quasi unique, n’a pas su développer l’économie algérienne qui reposait de fait sur la rente des hydrocarbures. La préservation de l’ordre social établi était donc intimement liée au cours du pétrole. C’est ainsi que la crise pétrolière des années 1980s a mis à nu l’incapacité de l’Etat, contrôlé par ce système, à honorer ses engagements envers le peuple qui, en l’espace de quelques années, a connu crises économiques, licenciements, chômage, pénuries de biens courants, etc. Les rentiers du système de leur côté continuaient à jouir des délices de la vie. 

L’incapacité du pouvoir à honorer les exigences du modèle socialiste, importé du bloc de l’Est, a renforcé la volonté du peuple algérien à lui mettre fin unilatéralement et à recouvrir sa souveraineté, afin de faire valoir son aspiration à la démocratie. Les événements d’octobre 88, même s’ils ont été manipulés, ont servi de déclic pour l’avènement d’une transition démocratique tant attendue. Ils ont préfiguré les premiers la chute des régimes autoritaires de la fin des années 80, bien avant que le régime de Ceausescu ne tombe en Roumanie, que le Mur de Berlin ne soit brisé ou encore que l’URSS n’implose. Notre peuple a fini par accéder à la démocratie : avec pour preuve la liberté d’expression, le multipartisme, une presse indépendante, la réforme de l’Etat etc. Depuis, notre pays n’a plus jamais connue pareille effervescence démocratique.

Dans ce contexte, les mouvements islamistes, clandestins depuis des décennies, sont sortis à la lumière du jour et ont été accueillis avec une certaine bienveillance de l’Etat et, dans le même temps, ils ont reçu un soutien populaire inespéré. Par la suite, la radicalisation du FIS, qui s’est imposé à la tête de la mouvance islamiste, et l’attachement de la nomenclature du système au pouvoir et ses privilèges ont eu raison du printemps démocratique de l’Algérie. Le coup d’Etat du 11 janvier 1992 a fermé cette parenthèse de démocratie et a provoqué un climat de tension, propice à toutes les dérives, que les groupes terroristes ont saisies pour perpétrer les crimes les plus abominables.

L’Algérie a payé un lourd tribut durant la décennie noire, des centaines de milliers d’algériens ont perdu la vie, d’autres sont comptés parmi les disparus. L’élite du pays a été décimée et n’a plus jamais su se reconstituer jusqu’à aujourd’hui. La société s’est renfermée sur elle-même et les citoyens ont cessé de se faire confiance. L’économie est devenu encore plus dépendante des cours du pétrole et l’importation s’est imposée comme modèle d’investissement par excellence. Le développement du commerce informel a fini d’achever l’économie algérienne déjà très mal-en-point.

Le « Printemps Arabe », qui a causé la chute de certains régimes ou du moins de certaines têtes, est bien entendu l’expression des révolutions populaires, c’est l’expression de la maturité des peuples à faire leur choix, après leur mise sous-tutelle du colonialisme, puis de l’autoritarisme ou de la dictature. Le « Printemps Arabe » a aussi suscité l’intérêt d’acteurs étrangers, parfois non-étatiques, soucieux de préserver les avantages concédés par les anciens régimes et de préparer un changement géopolitique régional aux ramifications mondiales.

Devant cette configuration, le système algérien se trouve prisonnier de son oligarchie politico-militaire, qui ne veut rien concéder de son pouvoir. Il est vulnérable et soumis à la pression des puissances étrangères, ses seules consolations sont la fragilité de la démocratie Tunisienne, l’anarchie de la révolution Libyenne et l’éternelle transition Egyptienne. Mais coupé de son peuple, le méprisant parfois, il dépend des bonnes grâces des puissances et des cercles d’influence étrangers, une situation qui fragilise la souveraineté nationale et qui met en danger les intérêts de l’Algérie.

Les dernières dites « réformes », qui n’en sont pas unes, ont été présentées aux gouvernements et aux parlements étrangers, mais très peu pour ne pas dire jamais aux algériens. Les dernières élections législatives sont encore plus pathétiques, sans préjuger de leur irrégularité, elles n’apportent aucune évolution, elles ne visent qu’à légitimer ce qui ne comporte aucune légitimité. Elles ont enfanté un parlement stérile, dépossédé de tout pouvoir. Limiter la démocratie aux urnes est une grande erreur.

Cinquante ans après l’indépendance, le pouvoir algérien ne peut être considéré comme une dictature, car il n’est plus idéologue, c’est plutôt un régime autoritaire aux semblants démocratiques qui n’a pour unique idéologie que sa seule survie. On pourrait le qualifier d’anocratie, dont les tenants ne cherchent qu’à préserver leur contrôle sur le pays par tous les moyens.

Devant ce constat on ne peut que se demander comment mettre fin à cet autoritarisme et assurer la démocratisation de l’Algérie, sur la base d’un véritable régime républicain ?

Je n’ai pas la prétention d’offrir une réponse exhaustive à ce questionnement. J’ai par contre une profonde conviction : celle que notre génération saura relever le défi de la démocratisation et assurer la pérennité de notre nation. Pour ce faire, il n’existe à mes yeux qu’une seule et unique voie, celle du retour à la légitimité et à la souveraineté du peuple, qui lui ont été confisquées lors de notre indépendance et une autre fois il y a 20 ans.

Cette entreprise doit être l’œuvre de tous les algériens sans aucune exclusion. Nous devons rétablir notre confiance les uns dans les autres et travailler la main dans la main. Notre peuple puise ses valeurs dans la glorieuse révolution du 1er novembre, il est fier de cette identité, et en même temps il regarde devant lui, il veut se construire un avenir radieux. Le peuple algérien a déjà établi son nouveau contrat social. Il a rappelé son choix pour la démocratie, le 5 octobre 88, mettant fin à la légitimité historique. Depuis, c’est sa légitimité et sa souveraineté à lui que reconnaissent les algériens. Malgré la cécité du système qui est prisonnier de ses rentiers qui ne veulent pas le laisser s’effacer au profit des institutions légitimes de la République.

Le changement tant attendu ne peut être que citoyen. La violence et la corruption sont rejetées par tous les algériens. Elles ont atteint leurs limites. Le régime ne peut plus se maintenir de la sorte, de même qu’aucune force ne pourra accéder au pouvoir par cette voie. Notre peuple en a décidé ainsi. Il veut mettre fin à ce cycle de violence et de corruption qui dure depuis des décennies, voir des siècles. Désormais, il veut organiser la société algérienne par le pouvoir de la loi, pour le respect de l’intérêt général et la défense des libertés individuelles.

Notre nation a toujours su prendre ses responsabilités comme en témoigne sa révolution pour l’indépendance. Notre nation est depuis toujours très sensible à la sympathie et à l’amitié que peuvent nous témoigner (encore aujourd’hui) d’autres nations. Mais la résolution de notre peuple pour la démocratie est une affaire exclusivement algérienne, et c’est entre algériens seuls qu’elle se réalisera.

Le changement citoyen doit toucher à la nature même du pouvoir. Il est nécessaire de mettre un terme à la dualité du pouvoir. Entre les institutions officielles sensées l’exercer au nom du peuple et des forces occultes qui l’usurpent au profit d’intérêts particuliers. La transparence des processus de prise de décision est nécessaire pour la redevabilité des institutions et la responsabilisation des hommes. C’est une question vitale pour la réforme de l’Etat algérien et pour assurer la performance de son action au service du peuple.

Le retour à la souveraineté du peuple signifie la fin du pouvoir militaire qui assure la pérennité du régime. Bien entendu, il ne s’agit pas de mettre fin à l’Armée Nationale Populaire (ANP) garante de l’intégrité territoriale et de la sécurité de la nation. Ces dernières années l’ANP s’est relativement retirée du jeu politique, cependant le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), qui incarne aujourd’hui le pouvoir militaire, perpétue plus que jamais la tradition de l’ingérence de l’armée dans les affaires politiques du pays. Le retrait du DRS (des coulisses) de la scène politique et institutionnelle est donc une condition sine qua non pour l’essor de la démocratie.

Il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’intérêt ou la nécessité des services de renseignements (même si ce sont plutôt des services de sécurité dans le cas de l’Algérie). Bien au contraire, il est question de renforcer leur action au service de notre peuple et de son choix démocratique. Les hommes et les femmes qui composent le DRS sont dans leur majorité de véritables patriotes, des fonctionnaires intègres avec un sens aigu du devoir et du sacrifice. Toutefois, l’institution, du fait de sa culture, de ses pratiques et des mécanismes qui la régissent, n’est plus en phase avec le rôle et les pouvoirs qui lui sont conférés. Elle souffre elle-même des différents maux qui rongent la société algérienne. L’évolution des priorités en matière de sécurité et de renseignement, suite au retour de la paix civile et à la persistance de l’instabilité régionale, est une raison supplémentaire pour redéfinir les missions et moyens des services de sécurité, et refondre l’ensemble de la communauté du renseignement.

Cette démarche est une réforme institutionnelle qui ne doit pas devenir une chasse aux sorcières. Elle doit s’opérer pour repositionner l’ensemble de la communauté du renseignement par les biais de la spécialisation et de l’indépendance des différents services les uns des autres, leur civilianisation (avec bien entendu des services de renseignement militaire pour la sécurité et les opérations de l’ANP), le renforcement du contrôle gouvernemental et parlementaire sur tous ces services, et leur coordination a haut niveau sur les questions transversales liées à la sécurité nationale.

Les pouvoirs de l’Etat, dominé par son exécutif, doivent être rééquilibrés et leur indépendance les uns des autres assurée ; le pouvoir législatif décrète les lois, le pouvoir exécutif les mets en place et le pouvoir judiciaire s’assurent de leur bonne application et de leur respect. L’indépendance de chacun des pouvoirs au niveau de tous ses appareils doit être garantie par des modalités de nomination indépendantes, une autonomie financière réelle et une transparence sur ses activités. Ces facteurs conjugués renforcent la redevabilité et par conséquent le pouvoir du peuple à questionner ses institutions.

La décentralisation au profit des collectivités et la déconcentration au profit des administrations territoriales sont tout aussi nécessaires pour mieux adresser les enjeux locaux qui nécessitent la plus grande proximité au citoyen. La société civile est un acteur du changement et aspire légitimement à participer à la définition des politiques publiques de l’Etat. Elle doit donc être consultée et mise à contribution durant ce processus.

Ces réformes républicaines ne peuvent être conduites que par une nouvelle classe politique. Une classe politique qui n’est pas compromise, qui n’a pas succombé à la corruption, au clientélisme et au népotisme. Une classe politique au service du projet démocratique. Une classe politique qui porte la voix d’un seul maître ; le peuple algérien.

Pour finir, je tiens à rappeler ô combien le peuple algérien est attaché à sa terre, à sa culture, à son identité. Il défend son idée d’une nation unie contre les clans, les clivages et les tribus. Notre peuple possède le sens du devoir, de la solidarité et de la justice. Non seulement dans ses rapports entre concitoyens, mais aussi dans ses rapports avec les autres nations.

Il est crucial de mettre fin à la légitimité historique puisée dans la guerre de libération dont certains usent pour se maintenir au pouvoir. Dans l’esprit du 1er novembre la légitimité est populaire, le souverain c’est le peuple algérien, le seul en droit d’être dans l’erreur, le seul à pouvoir définir légitiment les missions de l’Etat ; celles de la cohésion sociale et de la pérennité de la nation.

L’indépendance de l’Algérie est le fruit d’un engagement politique, de la volonté de notre peuple, depuis plus d’un siècle, à redevenir indépendant et à le demeurer. Cinquante ans après l’indépendance de notre pays, nous sommes résolument tournés vers l’avenir et tous ensemble nous édifierons la République Algérienne sur des véritables bases démocratiques.

*Cet article, publié le 5 juillet 2012, reprend l’intervention donnée à l’occasion du colloque « Algérie 50 ans après l’indépendance : défis et perspectives » organisé à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, le 21 mai 2012

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