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Amine Asselah , Mathématicien

Transition populaire et peuple en mutation

El Watan, 30 avril 2019

Situation. Un peuple résigné, désenchanté et indifférent depuis fort longtemps, enfante sous nos yeux une jeunesse digne, assoiffée d’ambition et optimiste.

La digue qui contenait cette vague de désespoirs, gonflée par 56 ans de mauvaise gouvernance, est rompue. La jeunesse algérienne lance un cri qui soulève tout le peuple et se réapproprie ses rues, ses symboles, ses réalités et ses rêves de vie meilleure dans son propre pays.

Cette jeunesse donne une leçon d’ambition collective, là où pendant des décennies l’ambition a manqué aux élites. Une leçon de dignité qui fait voler en éclats l’idée absurde, mais répandue, du peuple soumis méritant des gouvernants corrompus.

La contestation est contagieuse et, en trois semaines, tous les corps sont dans la rue : magistrats, syndicats, patronat, travailleurs du pétrole, fonctionnaires, retraités et même militaires se rebellent contre un système et font partie de ce mouvement pacifique et digne.

Nous applaudissons le courage collectif et la maturité de notre peuple. Nous rendons hommage aux hommes sincères qui ont réalisé notre grande Révolution des années 1950, aux résistants de la guerre, à tous les résistants des Printemps berbères, à ceux d’In Salah, aux mouvements de résistance nombreux qui ont conservé la flamme de la dignité.

Cette contestation, qui dure depuis huit semaines, pourrait devenir révolution. Hélas, les révolutions donnent rarement leurs fruits aux acteurs qui les ont produites, et souvent trop d’obstacles s’accumulent et les dévoient. Néanmoins, une page sombre est tournée et le peuple est sorti de l’indifférence. Nous voudrions partager des sentiments et suggérer des pistes pour aborder enfin une période de transition populaire.

Risques

1- Une partie de la gouvernance ébranlée est toujours là. Ses relais dans la société, bien que minoritaires, sont versés dans l’art de corrompre. Ils attendent patiemment que le mouvement se structure pour le diviser.

2- Le vide laissé par 7 ans de guerre coloniale totale et 56 ans de dictature, ne peut être comblé simplement ou rapidement. Une grande partie des compétences a été marginalisée, exilée et déprimée. Les opportunistes de tous bords ont déjà changé de veste, et attendent d’investir la révolution, comme ils ont profité de la dictature.

3- Les 25 dernières années de corruption à tous les niveaux ont cassé toute confiance entre le peuple et les gouvernants.

4- La contestation peut s’essouffler avec nos lassitudes, nos divisions et les brutalités d’un système sans perspective.

Prérequis

Un projet de société, un Etat de droit, un programme social et économique ambitieux nécessitent que la gouvernance soit compétente, mais aussi que le peuple retrouve une confiance en ses gouvernants. Cette confiance repose sur une justice autonome, des corps institutionnels efficaces, des partis politiques représentatifs de toute la société, des syndicats sains et indépendants. Cette confiance doit être rétablie avec patience et pédagogie.

Même si la contestation unanime redonne une certaine communion entre Algériens, cette suspicion empêchera un gouvernement provisoire d’aller vite et d’asseoir des institutions au service du citoyen.

Les pistes pour une sortie de crise : il est fondamental de garder le cap des marches populaires et des grèves pacifiques, d’y passer le temps qu’il faut, car l’après-contestation sera rapide et risque d’être brutal. Les marches d’un peuple entier sont nos seules mesures coercitives et doivent continuer jusqu’à l’apparition d’une représentation populaire qui pourrait assurer une période de transition sereine et longue, où des forces politiques se structurent et aboutissent à un gouvernement représentatif.

La période de transition est difficile à réaliser, car elle ne peut s’appuyer sur aucune tradition, aucune représentativité, ni légitimité.

Les étapes suivantes éviteraient l’écueil de structurer trop tôt une vie politique immature, tout en permettant au pays de fonctionner et de se reconstruire. Nous insistons sur l’ordre dans lequel un scénario efficace devrait se dérouler.

Le préalable serait un pacte clair entre le peuple et l’armée, aboutissant à une sacralisation du processus de transition populaire en garantissant la neutralité de l’armée, la non-ingérence étrangère et l’immunité des ambassadeurs du peuple. Proposons un scénario complet et expliquons les difficultés et les atouts d’un tel processus.

0- Accord avec l’armée sur la transition populaire.
1- Formation d’un conseil des sages de 20 à 100 membres.
2- Ce conseil sélectionne un gouvernement provisoire et fixe la durée de la période transitoire, et les échéances électorales à venir.
3- Ce gouvernement assainit la situation des institutions, de l’économie et de l’ordre moral. Son grand défi est de redonner confiance au peuple.
4- Les forces politiques se construisent avec un ancrage populaire, et encadrées par des institutions qui fonctionnent.
5- un Président est élu. Il choisit son Premier ministre et celui-ci forme un gouvernement.
Nous pensons qu’un conseil pourrait être formé en deux mois et pourrait sélectionner un Président provisoire en un mois. Une période transitoire de 10 mois à quelques années pourrait alors s’ouvrir pour organiser des élections.

Difficultés

Comment former un conseil des sages qui fasse l’unanimité ? Comment imposer ce conseil populaire au peuple et à son armée ?

Ces deux questions sont toute la difficulté et nous avons besoin d’imagination et d’intelligence pour y répondre. Il nous semble que ce qui doit faire l’unanimité est le processus aboutissant à ce conseil, car ses membres seront probablement des inconnus du grand public.

Un processus doit donc être d’abord validé par la population, puis garanti par les responsables de l’armée.
Une proposition. Utiliser les marches des vendredis, les nombreux forums et les réseaux sociaux pour permettre à des volontaires de se porter candidats au conseil des sages. En pratique, demander aux personnalités respectées qui ont rejoint la contestation, y compris dans l’armée, de tenir des permanences tous les jours, dans chaque ville, petite ou grande, d’informer, de susciter des candidatures et de retenir certaines en suivant une charte écrite. Ce processus devrait profiter des grèves, des soirées du Ramadhan, des nombreux débats, forums et tribunes pour cristalliser des candidatures sincères.

Il serait nécessaire d’imposer certaines règles d’admissibilité (charte) à ce conseil des sages. Une règle évidente serait que les membres ne devraient pas avoir participé aux gouvernements des 20 dernières années. Une seconde serait que les membres du conseil ne pourraient pas non plus faire partie du gouvernement provisoire qui suivra.

Le plus grand défi serait d’aboutir à qualifier des candidats représentatifs de la société et de grande qualité morale. Chaque région devrait être représentée, ainsi que chaque frange de la société : les jeunes et les femmes doivent y être représentés.

Le nombre des candidats admis après cette première sélection pourrait être entre 1000 et 10  000. A partir de là, un tirage au sort serait la solution la plus simple et la plus juste pour aboutir au conseil des sages. Ce tirage au sort devra s’organiser de façon à préserver la représentativité territoriale, la parité homme-femme et la hiérarchie des âges. Pourquoi un conseil des sages ?

Ce conseil restreint serait une première émanation populaire qui pourrait débattre de façon efficace. Il constituerait un cadre indépendant du gouvernement provisoire lui-même : il fixerait des échéances électorales et une charte morale.

Ce conseil de «grands électeurs» serait un garde-fou contre l’imposition par le haut d’un «zaïm», qui serait de fait redevable à ceux qui l’auraient installé, et puis à ceux qui l’auraient maintenu au pouvoir.

S’il n’y a pas de façon naturelle de choisir un gouvernement provisoire, la représentativité du conseil serait un premier pas dans la participation du peuple au devenir du pays. C’est un premier pas dans l’établissement d’une confiance.

Finalement, il permettrait à des candidats potentiels à une présidence provisoire d’avoir la parole pour exposer leurs projets directement à des représentants du peuple, et en toute transparence. L’interlocuteur de ces candidats serait donc le conseil des sages, et non pas le système actuel.

Conclusion

Notre proposition est de constituer une première structure représentative, le conseil des sages, sorte de grands électeurs. L’armée doit être partie prenante de la transition populaire, et nous proposons de l’associer à cette phase par l’intermédiaire d’un pacte clair de neutralité et d’immunité.

Nous proposons une piste pour constituer le conseil des sages. Ce conseil nomme un Président qui choisit un gouvernement provisoire pour une période fixée à l’avance.

Le rôle de ce dernier est d’assainir les corps de l’Etat et la vie publique, de restaurer les institutions dans leurs missions originelles, de créer un lien de confiance avec le peuple.

Pour ce faire, ce gouvernement consacre une justice indépendante et encourage des forces politiques qui permettront une élection à une échéance fixée par le conseil.

C’est ce Président élu et son gouvernement qui meneront à bien les réformes difficiles et nécessaires dont l’Algérie et son peuple ont besoin.

Ce texte a bénéficié de discussions avec Boudjema Samraoui, Brahim Mezerdi, Fatima et Hocine Asselah, Dimitri Vayanos et Abdelghani Zeghib. Je les en remercie.

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