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Djamal Kharchi

Transition démocratique et non-clonage du régime en place

El Watan, 11 avril 2019

La vacance du poste de président de la République est effective depuis le 3 avril 2019. Le Conseil constitutionnel a pris acte de la démission de Bouteflika. Un départ sous la pression de la rue. Une fin pitoyable.

L’épilogue affligeant de deux décennies d’un gâchis immense. Le Figaro a écrit au lendemain de la démission de Bouteflika : «Ce n’est pas un Président qui passe la main.

C’est un fantôme qui s’efface, une ombre qui se dissout». Voilà le souvenir peu glorieux qui restera à jamais ancré dans les mémoires. Dans une lettre en date du 5 avril 2019, Bouteflika demande pardon au peuple algérien pour tout ce qui a entaché les vingt années où il a présidé au destin du pays. Faut-il l’absoudre, pardonner les dérives, les abus, le mépris érigé en code de conduite des gouvernants ? Est-il excusable ? Tout s’excuse ici-bas, hormis la trahison du serment. Seule l’Histoire juge et condamne, excuse et absout.

L’article 102 de la Constitution relatif à l’état d’empêchement n’a finalement pas été mis en œuvre, comme le proposait le chef d’état-major de l’armée. Un simulacre tardif. La candidature de Bouteflika pour un quatrième et même cinquième mandat avait reçu son aval plein et entier. Une contradiction sidérante qui ne semble pas gêner outre mesure son auteur. Sous prétexte de s’en tenir à la stricte légalité constitutionnelle, le chef d’état-major de l’armée engage une transition biaisée à tous points de vue. La transition devra s’opérer avec des hommes tournés vers l’avenir, non vers le passé. C’est à ce prix que la sortie de crise est possible.
Malgré l’ampleur et l’intensité de la mobilisation populaire, Bouteflika, ou plutôt le clan qui le porte, aura résisté jusqu’au dernier moment, jusqu’à l’impossible, avant de s’incliner sous la pression de la rue. Sa démission forcée est venue mettre fin à son quatrième mandat – le mandat de l’absent – à trois semaines seulement de son expiration. L’Histoire a sans doute voulu que son départ s’apparente à une destitution au sens fort du terme.

Empêchement, démission ou destitution, qu’importe du moment que la page Bouteflika est définitivement tournée. On a tant épilogué sur la forme que devait prendre son départ au regard des dispositions de la Constitution. On a imaginé tant de scenarii, alors que son sort était scellé depuis le 22 février 2019, ce vendredi de tous les espoirs où le peuple a déferlé dans les rues et les places de toutes les villes du pays. Une vague de contestation puissante comme une lame de fond.

Et surtout pas de méprise. C’est le peuple qui a fait abdiquer Bouteflika et non le chef de l’armée comme pourraient le prétendre certains esprits malintentionnés. Nul ne peut usurper cette première victoire du peuple algérien. Sans sa mobilisation forte et déterminée, Bouteflika aurait rempilé pour un cinquième mandat.

N’ayons pas la mémoire courte, l’avenir du processus de transition démocratique en dépend grandement. Il s’agit de ne rien oublier. Ni ceux qui ont soutenu le régime Bouteflika à bras-le-corps, et malgré sa santé défaillante, n’ont pas hésité à l’exposer piteusement aux yeux du monde dans des mises en scène dignes de guignol.

Ni ceux qui ont traité le peuple par l’arrogance la plus insolente. Dire qu’il n’est pas obligé de manger le yaourt, comme le déclarait l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, rappelle à bien des égards les propos de Marie Antoinette à la veille de la Révolution de 1789. Au peuple de Paris qui réclamait du pain, elle répondit avec dédain : «Eh bien, jetez-lui de la brioche».

La démission des présidents de la République en Algérie est devenue presque une règle. Chadli, Zeroual et à présent Bouteflika ont tous trois quitté le pouvoir dans un contexte de crise ouverte ou larvée. Somme toute la vacance du pouvoir consécutive à une démission n’est pas une situation inédite. Les mécanismes constitutionnels y pourvoient amplement de sorte que la continuité de l’Etat est assurée jusqu’à la prochaine élection présidentielle.

Dans le contexte actuel, il est exclu de se suffire des dispositions constitutionnelles qui confient de plein droit l’intérim au président du Conseil de la Nation. La mobilisation populaire porte au cœur de ses revendications le rejet du système politique dans sa totalité. La légalité constitutionnelle n’est plus de mise, sauf à admettre une transition à l’intérieur du système. La Constitution actuelle a été taillée sur mesure pour Bouteflika et le régime totalitaire et anti-social qu’il incarne.

C’est pourquoi elle ne peut en aucune manière servir de cadre de référence à la transition démocratique. Celle-ci devra s’effectuer hors du cadre constitutionnel dont les mécanismes et instruments ne sont pas de nature à favoriser un processus de rupture avec le système. Le président du Conseil de la Nation, le Premier ministre, le président du Conseil constitutionnel, sont totalement disqualifiés. Dès lors, la question est la suivante : «Bouteflika parti, et maintenant ?»

Le premier pas décisif franchi, le plus dur reste désormais à faire. La mobilisation populaire doit plus que jamais se poursuivre pour la mise en œuvre du vaste et délicat chantier de la transition. Le chemin de la refondation politique et institutionnelle de l’Etat national sera long et semé d’embûches. Les démembrements du système Bouteflika sont toujours en place, disséminés dans les rouages de l’Etat, les artisans de la fraude électorale sont encore actifs. Rien n’a encore changé si ce n’est le principal visage qui a incarné vingt années durant le régime de l’autoritarisme et de la rapine.

Rien n’est encore acquis. Un retournement de situation peut tout faire basculer. Les clans du pouvoir, les forces occultes qui manœuvrent dans l’ombre sont aux aguets. La mobilisation populaire ne doit ni fléchir ni céder sur ses revendications. Ne laissons pas détourner ce fleuve tranquille.

Par deux fois, l’Algérie a raté son rendez-vous avec la démocratie, en Juillet 1962 et Octobre 1988. Cela nous incite à en tirer toutes les leçons. Il n’y a plus droit à l’erreur. Une expérience édifiante relativement récente vient nous rappeler, si nécessaire, la fragilité d’une révolution citoyenne, comme ce fut le cas en Egypte, si le changement ne touche pas également la haute hiérarchie militaire, afin d’exclure tout risque d’un retour brutal au statu quo ante.

Il existe de par le monde de nombreux exemples de transition démocratique réussis. Pourquoi pas l’Algérie ? A l’instar de la Révolution de novembre 1954, qui a inscrit en lettres d’or le combat du peuple algérien contre le colonialisme; la Révolution citoyenne que vit actuellement le pays est de nature à propulser la nation algérienne et son peuple aux plus hautes marches de la lutte pour la démocratie. Ne dit-on pas que le peuple algérien est capable du pire et du meilleur ?

Il n’existe pas de mode universel de transition démocratique. La Tunisie, après la chute de Benali, s’est d’emblée attelée à la refondation de ses institutions par la mise en place d’une Assemblée constituante aux fins d’instaurer un Etat de droit d’essence démocratique. Cette option revêt une logique imparable.

La nouvelle Constitution fondatrice de la IIe République revendiquée par le peuple peut être le moteur du processus de changement, comme elle peut en couronner l’aboutissement. Dans ce contexte, un certain nombre d’axes directeurs devront sous-tendre le passage du mouvement de mobilisation populaire au processus de transition démocratique, sans quoi le système saura en cette phase critique reproduire son propre clone.

L’opposition réelle, celle qui a toujours dénoncé la nature fondamentalement anti-démocratique du pouvoir en place, est appelée à resserrer les rangs et se constituer en force politique organisée afin de maîtriser l’initiative politique. Les transfuges du FLN, RND et autres partis complices du pouvoir ne peuvent devenir les hirondelles de ce printemps démocratique à peine naissant.

La société civile avec ce qu’elle compte d’associations, de ligues de défense des droits de l’homme et tous ces collectifs indépendants du pouvoir devra veiller au caractère pacifique du mouvement de mobilisation populaire et éviter des devisions en son sein.

A la grande surprise des gouvernants, le soulèvement populaire en cours a banni violences et affrontements avec les forces de l’ordre que certaines sphères du pouvoir appelaient de leurs vœux afin de décréter l’état d’exception. Mais c’était sans compter sur la vigilance du peuple. L’Algérie de 2019 n’est ni celle de 1988 ni celle de 1992. Le contexte des forces politiques en présence n’est pas le même et la société a énormément évolué en maturité politique.

Les organisations syndicales autonomes, en tant que parties prenantes au changement, devront s’opposer aux intimidations des employeurs envers les travailleurs mobilisés sur leurs lieux de travail. Les médias, du moins ceux qui constituent véritablement un vecteur de la liberté d’expression, ont le devoir de déjouer et neutraliser les manœuvres de désinformation du pouvoir. Un stock de «fake news» a complètement parasité les réseaux sociaux.

En somme, les partis démocratiques, le mouvement associatif authentique, les syndicats et médias au-dessus de tout soupçon ont la lourde tâche d’être des lanceurs d’alerte. Il existe en leur sein un panel de personnalités irrécusables éligibles à la conduite du processus de transition démocratique. C’est à ces hommes que doit revenir une telle mission.

Ceux qui ont mené le pays à cette dramatique situation ne peuvent s’ériger en interlocuteurs de premier rang aux yeux du peuple. Le gouvernement Bedoui a été désavoué avant même sa formation. De même que le président du Conseil de la Nation n’est nullement habilité à assurer la continuité d’un Etat défaillant dont il a participé à toutes les étapes de sa déliquescence. Un Etat profond, informel, bâti sur la prédation, s’est substitué à l’Etat national issu de l’indépendance.

Jusqu’à l’heure, le mouvement de mobilisation conserve toute sa vigueur et son élan. Il s’est engagé dans un solide bras de fer avec l’institution militaire qui n’a pas répondu à ses attentes et ne laisse qu’une seule alternative : la transition constitutionnelle ou le chaos programmé. Il peut paraître bizarre sous d’autres cieux de citer l’institution militaire comme l’arbitre du règlement de la crise politique.

L’Algérie a sa singularité et sa spécificité. A l’indépendance, le pacte social reposait sur l’acception tacite que le pouvoir revenait de plein droit à l’Armée de libération nationale. Les chefs d’Etat successifs ayant tous été aux avant-postes de la Révolution faisaient valoir leur légitimité historique avant la légitimité que confèrent les élections.

Aujourd’hui, ce pacte social autoritaire est rompu. L’heure est à l’instauration d’une IIe République. Le peuple est souverain et entend l’être désormais de manière effective. Va-t-il se suffire des seules manifestations hebdomadaires, au risque d’un délitement progressif de la mobilisation, pour imposer sa vision de la transition ?

La mobilisation populaire est certes nécessaire mais pas suffisante. Le peuple devra, au moment qu’il jugera opportun, désigner ses porte-parole parmi des personnalités consensuelles dont la mission consistera à définir les modalités de la transition jusqu’à la prochaine élection présidentielle. C’est sans doute le défi de l’heure. L’institution militaire de par son autorité indiscutable a le devoir de garantir le bon déroulement du processus et lever toutes les entraves susceptibles d’empêcher son aboutissement. L’armée est une institution pivot de la République, mais elle ne peut aller à l’encontre de la volonté populaire.

La mise en place des organes de la transition représente une des phases les plus sensibles. Par définition, ils ne peuvent être que provisoires et ne devront inclure ni des figures de l’actuel régime ni des personnes qui se sont compromises dans les allées du pouvoir.

A cet égard, une Haute instance de la transition composée de trois membres représentatifs de l’opposition dans toutes ses composantes (partis, associations, syndicats…), des personnalités connues et reconnues, devra procéder à la dissolution du Parlement et des partis de l’alliance présidentielle entre autres. L’organe de la transition devra également élaborer une charte relative à la création des partis politiques qui soit suffisamment exigeante pour en limiter le nombre et leur assurer une crédibilité.

La Haute instance de la transition qui pourrait prendre la forme d’un Haut conseil aura également pour mission d’élaborer une charte d’éthique électorale dont la finalité sera de mettre fin à la fraude et de renforcer les mécanismes de contrôle. Elle devra en outre définir le calendrier de la transition dans ses différentes étapes. Quant au gouvernement qu’elle sera chargée de former, celui-ci n’aura qu’une seule et unique mission, en dehors de la gestion des affaires courantes, celle de la préparation des élections présidentielle et législatives à venir.

Ce pourrait être un gouvernement d’union nationale composé de personnalités respectées pour leurs compétences et leur haute moralité, sans attaches avec les réseaux du système. Il demeure que la période de transition devra s’étaler entre six mois et une année tout en plus. L’élaboration d’une nouvelle Constitution sera confiée à une assemblée composée de magistrats, de juristes et de personnalités nationales crédibles. Celle-ci sera adoptée par voie référendaire et marquera la clôture de la période de transition. Il serait dangereux de différer son élaboration jusqu’après l’élection présidentielle.

C’est la garantie d’une rupture effective. La pierre angulaire du changement. La période de transition ne doit être comprise ni comme une chasse aux sorcières, ni une opportunité de règlement de comptes. Les juridictions judiciaires sont les seules à même de mener une opération «mains propres» dans le cadre de la moralisation de la vie politique. A cet égard, la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances ainsi que toutes les institutions de contrôle devront être réhabilitées afin d’exercer librement leurs missions au service de la collectivité.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat aura la charge d’expurger du corpus des textes juridiques en vigueur, notamment les dispositions où des entraves à l’exercice des libertés individuelles et collectives trouvent leur ancrage. Dans ce cadre, l’organe chargé de la transition sera habilité à prendre des décisions par voie d’ordonnance.

La transition sera sans aucun doute difficile mais elle ouvrira une ère nouvelle pour la nation qui se traduira par l’institution d’un Etat moderne et efficace doté d’une justice indépendante, d’un Parlement pourvu de mécanismes lui permettant de s’ériger en contre-pouvoir, et une presse libre à l’abri des pressions politiques. Mais n’allons pas trop vite. Jusqu’à présent, le pouvoir n’a encore rien cédé sur l’essentiel.

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