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Brahim THAZAGHART

Pour une transition constitutionnelle ouverte

El Watan, le 02 avril 2019

En réponse à la recommandation faite par le chef d’état-major de l’ANP, le général-major Gaïd Salah, d’appliquer l’article 102, je pense qu’il faut faire preuve de sang-froid, d’intelligence et d’humilité, mais sans jamais céder à l’angélisme. Les développements intervenus ces dernières heures, aussi sensibles et graves soient-ils, ne doivent pas nous déstabiliser outre mesure.

Que l’état-major inclue les articles 7 et 8 dans sa feuille de route, cela signifie que le peuple a fini par s’imposer comme seul détenteur de la légitimité. Que le clan présidentiel résiste et cherche une sortie qui lui soit la moins défavorable possible relève de l’ordinaire en politique, à condition bien sûr de ne pas attenter à la stabilité de l’Etat et du pays.

Ce qui importe le plus en ces moments, c’est de maintenir le consensus national autour de la gestion pacifique de la crise, aussi bien du côté des manifestants que des services de l’ordre.

Ici et maintenant, il n’y a ni défaite, ni victoire, ni vainqueur, ni vaincu ! Il y a un peuple qui cherche des solutions à ses problèmes multiples et multiformes. Il y a un mouvement qui ambitionne la refonte de l’Etat, de la nation, du pouvoir et qui célèbre de belle manière l’unité populaire retrouvée que le pouvoir a cherché à miner depuis l’indépendance acquise.

N’est-ce pas le sens de la communion que vivent les Algériennes et les Algériens depuis le 22 février 2019 ? N’est-ce pas le sens du civisme et la fraternité qui marquent les marches chaque vendredi ? Une communion magnifique, exceptionnelle, qui replace l’algérianité au cœur du projet national renouvelé.

En ces heures de craintes et d’espoirs, doit-on briser cette communion renaissante à la première occasion en remettant en cause le slogan «Djich, chaâb, khawa khawa» ? Doit-on se précipiter à opposer le peuple à son armée sans trop anticiper sur les conséquences fâcheuses qui peuvent en découler ? Doit-on refuser dans le fond et dans la forme toute proposition venant des institutions de la République ?

Je ne pense pas que ce serait intelligent ni légitime de le faire !

«Iruhu Gaâ», équivalent de «Ulac smah» du mouvement de 2001, peut ouvrir les perspectives sur l’impasse si nous refusons d’agir politiquement sur les événements.

Y a-t-il un coup d’Etat ?

Parler de coup d’Etat dans le cas de la demande d’application de l’article 102 par le chef d’état-major, appeler les soldats et les officiers de l’armée à prendre leurs responsabilités serait maladroit. Dans son discours du 26 mars, le général Gaïd Salah ne s’est pas exprimé en son propre nom, mais au nom de l’institution dont il a la charge. Cela n’est un secret pour personne, sauf à vouloir manipuler l’opinion publique. Le chef d’état-major est un représentant de l’ANP, son porte-parole, mais pas son unique décideur.

A cet effet, avoir des réserves sur cette proposition est une chose, trancher sans nuance en est une autre, surtout dans cette situation cruciale que vit le pays.

A mon avis, la mise en œuvre de l’article 102, qui suppose «le décès du Président», «sa démission», ou «un empêchement physique» est une étape dans la solution à la crise, entamée avec le retrait de Bouteflika de la course à la présidentielle. Elle n’est pas toute la solution, certes, mais elle est un coup d’accélérateur en mesure de libérer les institutions et les personnes afin de casser un statu quo qui peut être mortel pour l’Algérie.

Quoi qu’on puisse dire, l’Algérie doit convaincre le chef de l’Etat de partir avant le 28 avril 2019. Elle doit anticiper sur la suite à donner à son départ. Elle ne doit en aucun cas attendre le jour même pour improviser dans la précipitation.

Respect de la constitution

Ce n’est pas parce que le chef de l’Etat a annulé les élections en violation de la Constitution qu’il faut aller dans cette voie. Ce n’est pas un bon exemple à suivre. Seulement, je dois dire que le respect de la Constitution ne signifie point l’abandon de la lutte pour le changement du système, bien au contraire, c’est au nom de l’article 7 de la Constitution qu’il faut continuer à l’exiger.

J’ai toujours, depuis 2014, préconisé une transition dynamique qui se réalise avec des institutions en marche, auxquelles il faut donner de nouvelles missions. C’est une position de principe qui découle d’un souci de pérennité de l’Etat national.

L’histoire nous enseigne que le pays a longtemps vécu sans Etat, sous domination étrangère comme conséquence. L’appel du 1er Novembre 1954, qui avait annoncé le retour de l’Algérie sur la scène de l’histoire, le Congrès de la Soummam de 1956, qui a mis en place les fondements de l’Etat moderne, ont structuré un rêve algérien que le 22 février 2019 a consolidé. Je considère, à cet effet, qu’insister sur le respect de la Constitution, sur le fonctionnement normal des institutions de la République et leur stabilité est un devoir patriotique et démocratique.

Des transitions

1) La transition constitutionnelle

L’application de l’article 102 tel que défini par la Loi fondamentale fait assumer l’intérim au président du Sénat, qui aura à préparer l’élection présidentielle. Il n’aura pas le droit de toucher aux lois de la République, ni de changer la composante du gouvernement. Cette transition sera conduite par le même personnel du régime, impliqué pour une grande part dans la crise.

C’est là le point faible de cette transition. Elle est en contradiction avec les revendications du mouvement pour le changement. Se battre des semaines durant pour remettre les clés de la décision aux mêmes hommes est absurde.

2) La transition a-constitutionnelle

Ceux qui refusent l’application de l’article 102 réclament une solution en dehors de la Constitution. Pour éviter la gestion de la transition par le même personnel, ils proposent un collège présidentiel qui va remplacer le président Abdelaziz Bouteflika après le 28 avril 2019, si ce dernier venait à quitter son poste, bien sûr. A la mise de côté de la Constitution, ils exigent la dissolution du Sénat, de l’APN et du gouvernement, qui sera remplacé par un gouvernement d’union populaire.

Je reste très sceptique face à cette proposition. En plus des difficultés à mettre en place des structures nouvelles, à s’entendre sur des personnes compétentes, consensuelles et irréprochables, les expériences passées n’étaient pas concluantes. Le HCE, installé après la démission de Chadli Bendjedid, le 11 janvier 1992, a conduit à l’assassinat de Mohamed Boudiaf à Annaba, le 29 juin 1992.

Présentement, le collège présidentiel mis en place lors du 5e congrès du FFS pour suppléer le retrait de Hocine Aït Ahmed a provoqué la déchirure du plus vieux parti de l’opposition algérienne, ce collège était destiné normalement à conduire le changement vers la IIe République qu’il n’a jamais cessé de revendiquer.

Ces deux exemples, et d’autres, nous placent devant le risque d’éclatement de l’Etat national suite à une probable paralysie du collège présidentiel, qui sera soumis à une pression terrible. Il est clair qu’une paralysie du collège présidentiel mettra l’Etat en danger, ce qui impliquera inévitablement l’intervention de l’institution militaire en application de l’article 28 de la Constitution. Et ce serait le retour au point zéro !

A ceux qui déclarent leurs craintes du pouvoir absolu de l’armée, je dis que la Constitution seule est capable de limiter les pouvoirs des institutions. En dehors du cadre constitutionnel, ce sont les rapports de force sans règles qui peuvent s’installer, dans un environnement régional et international incertain.

3) Pour une transition constitutionnelle ouverte

J’ai émis le souhait de voir le chef de l’Etat, le moudjahid Abdelaziz Bouteflika, déposer sa démission et se retirer dignement afin de préserver l’avenir du pays. Pour un maquisard de sa stature, le sort de l’Etat passe largement devant l’ego et la fierté personnels. Avant de quitter la Présidence, et afin de ne pas abandonner le bateau en pleine mer agitée, il devrait mettre en place un gouvernement de compétences nationales consensuelles de pré-transition. Il s’agit de remplacer le gouvernement de Noureddine Bedoui, rejeté par la population et les partis politiques, par un autre, en mesure d’avoir l’approbation de la rue.

Comme deuxième action, le Président doit injecter dans le tiers présidentiel du Conseil de la nation des personnalités compétentes, estimées par la population et dont l’une d’elles sera en mesure de prendre la place de Abdelkader Bensalah. Ainsi, le nouveau président du Sénat prendra le relais après le départ du chef de l’Etat.

Je parle de transition constitutionnelle ouverte, parce qu’il sera impératif d’adapter la démarche à la situation politique qui prévaut, en évitant d’être prisonnier du texte au détriment de l’esprit.

L’intérim du Président, même si la Constitution ne le prévoit pas explicitement, aura à convoquer une conférence nationale souveraine, dont l’objectif est de discuter de la meilleure manière de revenir au processus électoral et de l’application de l’article

7 de la Constitution. Il y a deux façons de le faire :
– Une démocratie directe à travers des assemblées à tous les niveaux avec des votes référendaires sur toutes les questions publiques.

– Une démocratie représentative par voie d’élections.

Une révision de la loi électorale, un assainissement du fichier électoral, la mise en place d’une commission véritablement indépendante pour la surveillance des élections, un texte législatif qui place l’administration dans une position de neutralité absolue permettront le retour à la légitimité populaire.

Avec la réunion des conditions d’une élection libre, le mouvement populaire élaborera un projet présidentiel de transition à la IIe République et désignera un porteur de projet qui aura la charge de veiller sur le passage de l’ancien système politique au nouveau. Le porteur du projet s’engagera à remplir un seul mandat, celui de la transition, durant lequel un processus constituant sera engagé avec l’implication totale de la population pour donner corps à l’article 8 de la Loi fondamentale.

Tout ce processus doit se dérouler dans un climat serein, caractérisé par la levée de toutes les entraves à l’exercice démocratique et dans un respect total des droits de l’homme.
Maintenir la mobilisation

En 1994, le MCB a répondu favorablement à l’invitation au dialogue lancée par le chef du gouvernement de Liamine Zeroual, présidé par Mokdad Sifi, afin de trouver une solution au boycott de la rentrée scolaire 1994-1995. Contre notre avis, il a été décidé de surseoir aux actions de pressions et à l’annulation de la marche commune prévue à Alger et que devaient organiser les commissions nationales du MCB, la Coordination nationale du MCB, auxquelles devait se joindre le MCA des Aurès.

Geste de bonne foi ? Non, une décision maladroite qui a coûté une année blanche à des générations de collégiens, de lycéens et d’étudiants…

Il était clair pour tout militant aguerri qu’on ne lève pas la pression durant la négociation pour montrer sa disponibilité, mais on la renforce pour pouvoir arracher plus d’acquis.

Si je rappelle cet épisode, c’est pour dire que si les luttes se renforcent et se nourrissent, elles doivent aussi nous servir à chaque étape au lieu de les oublier et de les effacer de la mémoire. Ainsi, le relâchement de la mobilisation est la faute à ne pas rééditer aujourd’hui !

Il faut maintenir la pression d’un côté et aller vers la population pour des débats francs sur les affaires communes et l’avenir du pays et des générations à venir. C’est ainsi que nous allons vaincre les forces de l’inertie et que nous cheminerons dans l’unité et la conscience vers la nouvelle République. Nous avons le devoir de réussir.

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