1. Situation politique actuelle
A) L’essor impétueux de la Révolution Algérienne
L’Algérie, depuis deux ans, combat avec héroïsme pour l’indépendance nationale.
La révolution patriotique et anticolonialiste est en marche.
Elle force l’admiration de l’opinion mondiale.
a. La Résistance armée
En une période relativement courte, l’Armée de Libération Nationale, localisée dans l’Aurès et la Kabylie, a subi avec succès l’épreuve du feu.
Elle a triomphé de la campagne d’encerclement et d’anéantissement menée par une armée puissante, moderne, au service du régime colonialiste d’un des plus grands Etats du monde.
Malgré la pénurie provisoire d’armement, elle a développé les opérations de guérillas, de harcèlement, de sabotage, s’étendant aujourd’hui à l’ensemble du territoire national.
Elle a consolidé sans cesse ses positions en améliorant sa tactique, sa technique, son efficacité.
Elle a su passer rapidement de la guérilla au niveau de la guerre partielle.
Elle a su combiner harmonieusement les méthodes éprouvées des guerres anti-colonialistes avec les formes les plus classiques en les adoptant intelligemment aux particularités du pays.
Elle a déjà fourni la preuve suffisante, maintenant que son organisation militaire est unifiée, qu’elle possède la science de la stratégie d’une guerre englobant l’ensemble de l’Algérie.
L’Armée de Libération Nationale se bat pour une cause juste.
Elle groupe des patriotes, des volontaires, des combattants décidés à lutter avec abnégation jusqu’à la délivrance de la patrie martyre.
Elle s’est renforcée par le sursaut patriotique d’officiers, de sous-officiers et de soldats de carrière ou du contingent, désertant en masse avec armes et bagages les rangs de l’armée française.
Pour la première fois dans les annales militaires, la France ne peut plus compter sur le «loyalisme » des troupes algériennes. Elle est obligée de les transférer en France et en Allemagne.
Les Harkas de goumiers, recrutés parmi les chômeurs souvent trompés sur la nature du « travail » pour lequel ils étaient appelés, disparaissent dans le maquis. Certaines sont désarmées et dissoutes par les autorités mécontentes.
Les réserves humaines de l’ALN sont inépuisables. Elle est souvent obligée de refuser l’enrôlement des Algériens jeunes et vieux, des villes et campagnes, impatients de mériter l’honneur d’être soldats de leur « Armée ».
Elle bénéficie pleinement de l’amour du peuple algérien, de son soutien enthousiaste, de sa solidarité agissante, morale et matérielle, totale et indéfectible.
Les officiers supérieurs, les commandants de zones, les commissaires politiques, les cadres et soldats de l’Armée de Libération Nationale sont honorés comme des héros nationaux, glorifiés dans des chants populaires qui ont déjà pénétré aussi bien dans l’humble gourbi que la misérable Khaïma, la ghorfa des casbahs comme le salon des villas.
Telles sont les raisons essentielles du « miracle algérien » : l’ALN tenant en échec la force colossale de l’armée colonialiste française, renforcée par les divisions « atomiques » prélevées sur les forces de l’OTAN.
Voilà pourquoi en dépit des incessants renforts, jugés aussitôt insuffisants, malgré le quadrillage ou autre technique aussi inopérante que les déluges de feu, les généraux français sont obligés de reconnaître que la solution militaire est impossible pour résoudre le problème algérien.
Nous devons signaler particulièrement la formation de nombreux maquis urbains qui, d’ores et déjà, constituent une seconde armée sans uniforme.
Les groupes armés dans les villes et villages se sont notamment signalés par des attentats contre les commissariats de police, les postes de gendarmerie, les sabotages de bâtiments publics, les incendies, la suppression de gradés de la police, de mouchards, de traîtres.
Ce qui affaiblit d’une façon considérable l’armature militaire et policière de l’ennemi colonialiste, augmente la dispersion de ses forces sur l’ensemble du sol national, mais aussi accentue la détérioration du moral des troupes, maintenus dans un état d’énervement et de fatigue par la nécessité de rester sur un qui-vive angoissant.
C’est un fait indéniable que l’action de l’ALN a bouleversé le climat politique en Algérie.
Elle a provoqué un choc psychologique qui a libéré le peuple de sa torpeur de la peur, de son scepticisme.
Elle a permis au peuple algérien une nouvelle prise de conscience de sa dignité nationale.
Elle a également déterminé une union psycho-politique de tous les Algériens, cette unanimité nationale qui féconde la lutte armée et rend inéluctable la victoire de la liberté.
b. Une organisation politique efficace
Le FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE, malgré son activité clandestine, est devenu aujourd’hui l’unique organisation véritablement nationale. Son influence est incontestable et incontestée sur tout le territoire algérien.
En effet, dans un délai extrêmement court, le FLN a réussi le tour de force de supplanter tous les partis politiques existants depuis des dizaines d’années.
Cela n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat de la réunion des conditions indispensables suivantes :
- Le bannissement du pouvoir personnel et l’instauration du principe de la direction collective composée d’hommes propres, honnêtes, imperméables à la corruption, courageux, insensibles au danger, à la prison ou à la peur de la mort.
- La doctrine est claire. Le but à atteindre, c’est l’indépendance nationale. Le moyen, c’est la révolution par la destruction du régime colonialiste.
- L’union du peuple est réalisée dans la lutte contre l’ennemi commun, sans sectarisme :
Le FLN affirmait au début de la Révolution que « la libération de l’Algérie sera l’œuvre de TOUS les Algériens et non pas celle d’une fraction du peuple algérien, quelque soit son importance ». C’est pourquoi le FLN tiendra compte dans sa lutte de toutes les forces anti-colonialistes, même si elles échappent à son contrôle.
- La condamnation définitive du culte de la personnalité, la lutte ouverte contre les aventuriers, les mouchards, les valets de l’administration, indicateurs ou policiers. D’où la capacité du FLN à déjouer les manœuvres politiques et les traquenards de l’appareil policier français.
Cela ne saurait signifier que toutes les difficultés seraient complètement effacées.
Notre action politique a été handicapée au départ pour les raisons ci-après :
- L’insuffisance numérique des cadres et des moyens matériels et financiers.
- La nécessité d’un long et dur travail de clarification politique, d’explication patiente et persévérante pour surmonter une grave crise de croissance.
- L’impératif stratégique de SUBORDONNER TOUT AU FRONT DE LA LUTTE ARMÉE.
Cette faiblesse, normale et inévitable au début, est déjà corrigée, après la période où il se contentait de lancer uniquement des mots d’ordre de résistance à l’impérialisme, on a assisté à une réelle apparition du FLN sur le plan de la lutte politique.
Ce redressement fut marqué par la grève d’anniversaire du 1er novembre 1955, considérée comme l’événement décisif, tant par son aspect spectaculaire et positif que par son caractère profond, preuve de la « prise en main » de toutes les couches de la population.
Jamais, de mémoire d’Algérie, aucune organisation politique n’avait obtenu une grève aussi grandiose dans les villes et villages du pays.
D’autre part, le succès de la non-coopération politique lancée par le FLN est non moins probant. La cascade de démissions des élus patriotes suivie de celles des élus administratifs ont imposé au gouvernement français la non-prorogation du mandat des députés du Palais Bourbon, la dissolution de l’Assemblée Algérienne. Les conseils généraux et municipaux et les djemaa ont disparu, vide accentué et amplifié par la démission de nombreux fonctionnaires et auxiliaires de l’autorité coloniale, caïds, chefs de fraction, gardes champêtres. Faute de candidatures ou de remplaçants, l’administration française est disloquée; son armature considérée comme insuffisante ne trouve aucun appui parmi le peuple; dans presque toutes les régions elle coexiste avec l’autorité du FLN.
Cette lente mais profonde désagrégation de l’administration française a permis la naissance puis le développement d’une dualité de pouvoir. Déjà fonctionne une administration révolutionnaire avec des djemaa clandestines et des organismes s’occupant du ravitaillement, de perception d’impôts, de la justice, du recrutement de moudjahidine, des services de sécurité et de renseignements. L’administration du FLN prendra un nouveau virage avec l’institution des assemblées du peuple qui seront élues par les populations rurales avant le deuxième anniversaire de notre révolution.
Le sens politique du FLN s’est vérifié d’une façon éclatante par l’adhésion massive des paysages pour lesquels la conquête de l’indépendance nationale signifie en même temps la réforme agraire qui leur assurera la possession des terres qu’ils fécondent de leur labeur.
Cela se traduit par l’éclosion d’un climat insurrectionnel qui s’est étendu avec rapidité et une forme variée à tout le pays.
La présence d’éléments citadins, politiquement mûrs et expérimentés, sous la direction lucide du FLN, a permis la politisation des régions retardataires. L’apport des étudiants a été d’une grande utilité, notamment dans les domaines politiques, administratif et sanitaire.
Ce qui est certain, c’est que la Révolution Algérienne vient de dépasser avec honneur une première étape historique.
C’est une réalité vivante ayant triomphé du pari stupide du colonialisme français prétendant la détruite en quelques mois.
C’est une révolution organisée et non une révolte anarchique.
C’est une lutte nationale pour détruire le régime anarchique de la colonisation et non une guerre religieuse. C’est une marche en avant dans le sens historique de l’humanité et non un retour vers le socialisme.
C’est enfin la lutte pour la renaissance d’un Etat Algérien sous la forme d’une république démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues.
c. La faillite des anciennes formations politiques
La Révolution Algérienne a accéléré la maturité politique du peuple algérien. Elle lui a montré, à la lumière de l’expérience décisive du combat libérateur, l’impuissance du réformisme et la stérilité du charlatanisme contre-révolutionnaire.
La faillite des vieux partis a éclaté au grand jour.
Les groupements divers ont été disloqués. Les militants de base ont rejoint le FLN. L’UDMA dissoute et les Oulama se sont alignés courageusement sur les positions du FLN ; l’UGEMA groupant tous les universitaires et lycéens, a proclamé par la voix de son congrès unanime le même sentiment.
Le Comité central du M.T.L.D. a complètement disparu en tant que regroupement ex-dirigeants et en tant que tendance politique.
Le Messalisme en déroute
Le M.N.A., en dépit de la démagogie et de la surenchère, n’a pas réussi à surmonter la crise mortelle du M.T.L.D. Il conservait une assise organique seulement en France du fait de la présence de Messali en exil, de l’ignorance totale des émigrés de la réalité algérienne.
C’est de là que partaient les mots d’ordre, les fonds et les hommes en vue de la création en Algérie de groupes armés ou de maquis dissidents, destinés non à la participation à la lutte contre l’ennemi exécré des opérations de provocation et à saboter par le défaitisme, le désordre et l’assassinat, la Révolution Algérienne et ses dirigeants militaires et politiques.
L’activité sporadique et brève du M.N.A. s’était manifestée publiquement, dans les rares villes telles Alger, comme une secte contre-révolutionnaire dans des opérations de division (campagne antimozabite), de gangstérisme(racket de commerçants), de confusion et de mensonges (Messali, soi-disant créateur et chef de l’Armée de Libération Nationale).
Le messalisme a perdu sa valeur de courant politique. Il est devenu de plus en plus un état d’âme qui s’étiole chaque jour.
Il est particulièrement significatif que les derniers admirateurs et défenseurs de Messali soient précisément les journalistes et intellectuels proches de la présidence du gouvernement français. Ils prétendent dénoncer l’ingratitude du peuple algérien qui ne reconnaîtrait plus «les mérites exceptionnels de Messali, le créateur, il y a trente ans, du nationalisme algérien ».
La psychologie de Messali s’apparente à la conviction insensée du coq de la fable qui ne se contente pas de constater l’aurore, mais proclame « qu’il fait lever le soleil ».
Le nationalisme Algérien dont Messali revendique effrontément l’initiative est un phénomène de caractère universel, résultat d’une évolution naturelle suivie par tous les peuples sortant de leur léthargie.
Le soleil se lève sans que le coq soit pour quelque chose, comme la Révolution Algérienne triomphe sans que Messali y ait aucun mérite.
Cette apologie du messalisme dans la presse française était un indice sérieux de la préparation psychologique d’un climat artificiel favorable à une manœuvre de grande envergure contre la Révolution Algérienne.
C’est la division, arme classique du colonialisme.
Le gouvernement français a tenté en vain d’opposer au FLN des groupements modérés, voire même le groupe des «61». Ne pouvant plus compter sur les Sayah ou Farès, le béni-oui-ouisme étant discrédité d’une façon définitive et sans retour, le colonialisme français espérait utiliser le chef du MNA dans son ultime manœuvre diabolique pour tenter de voler au peuple algérien sa victoire.
Dans cette perspective, Messali représente, en raison de son orgueil et de son manque de scrupules, l’instrument parfait pour la politique impérialiste.
Ce n’est donc pas par hasard que Jacques Soustelle pouvait affirmer en novembre 1956 au professeur Massignon : « Messali est ma dernière carte ».
Le ministre résidant Lacoste ne se gêne pas pour confier à la presse colonialiste algérienne sa satisfaction de voir le MNA s’efforcer uniquement d’affaiblir le FLN.
L’hebdomadaire socialiste «Demain», dévoilant les divergences tactiques divisant les gouvernants français, pouvait écrire que certains ministres étaient disposés, pour empêcher le renforcement du FLN à accorder à Messali sa liberté totale, «le seul problème étant de protéger la vie du leader algérien».
Quand on se rappelle que Messali s’est livré à une violente attaque contre les pays arabes, ce qui ne peut que réjouir les Soustelle, Lacoste et Borgeaud, son déplacement d’Angoulême à Belle-Isle justifie la thèse du journal «Demain».
Lorsque la vie de Messali est si précieuse pour le colonialisme français, faut-il s’étonner de le voir glisser vers la trahison consciente.
Le Communisme Absent
Le P.C.A., malgré son passage dans l’illégalité et la publicité tapageuse dont la presse colonialiste l’a gratifié pour justifier la collusion imaginaire avec la Résistance Algérienne, n’a pas réussi à jouer un rôle qui mériterait d’être signalé.
La direction communiste, bureaucratique, sans aucun contact avec le peuple, n’a pas été capable d’analyser correctement la situation révolutionnaire. C’est pourquoi elle a condamné le «terrorisme» et ordonné dès les premiers mois de l’insurrection aux militants des Aurès, venus à Alger chercher des directives, DE NE PAS PRENDRE LES ARMES.
La sujétion au P.C.F. a pris le caractère d’un Béni-oui-ouisme avec le silence qui a suivi le vote des pouvoirs spéciaux.
Non seulement les communistes algériens n’ont pas eu suffisamment de courage pour dénoncer cette attitude opportuniste du groupe parlementaire, mais ils n’ont pas soufflé mot sur l’abandon de l’action concrète contre la guerre d’Algérie : manifestations contre les renforts de troupes, grèves de transports, de la marine marchande, des ports et des docks, contre le matériel de guerre.
Le P.C.A. a disparu en tant qu’organisation sérieuse à cause surtout de la prépondérance en son sein d’éléments européens dont l’ébranlement des convictions nationales algériennes artificielles a fait éclater les contradictions face à la résistance armée.
Cette absence d’homogénéité et la politique incohérente qui en résulte ont pour origine fondamentale la confusion et la croyance en l’impossibilité de la libération nationale de l’Algérie avant le triomphe de la révolution prolétarienne en France.
Cette idéologie qui tourne le dos à la réalité est une réminiscence des conceptions de la S.F.I.O., favorable à la politique d’assimilation passive et opportuniste.
Niant le caractère révolutionnaire de la paysannerie et des fellahs algériens en particulier, elle prétend défendre la classe ouvrière algérienne contre le danger problématique de tomber sous la domination directe de la «bourgeoisie arabe», comme si l’indépendance nationale de l’Algérie devait suivre forcément le chemin des Révolutions manquées, voire même de faire marche arrière vers un quelconque féodalisme.
La C.G.T., subissant l’influence communiste, se trouve dans une situation analogue et tourne à vide sans pouvoir énoncer et appliquer le moindre mot d’ordre d’action.
La passivité générale du mouvement ouvrier organisé, aggravée dans une certaine mesure par l’attitude néfaste des syndicats F.O. et C.F.T.C., n’est pas la conséquence du manque de combativité des travailleurs des bras croisés, les directives de Paris.
Les dockers d’Alger en ont donné la preuve en participant à la grève politique anniversaire du 1er novembre 1956.
Nombreux furent les travailleurs qui ont compris que cette journée d’action patriotique aurait revêtu un caractère d’unanimité nationale, plus démonstrative, plus dynamique, plus féconde, si les organisations ouvrières avaient été entraînées intelligemment dans la lutte générale par une véritable centrale syndicale nationale. Cette appréciation juste se trouve entièrement confirmée dans les succès complets de la grève générale patriotique du 5 juillet 1956.
Voila pourquoi les travailleurs algériens ont salué la naissance de l’U.G.T.A., dont le développement continu est irrésistible, comme l’expression de leur désir impatient de prendre une part plus active à la destruction du colonialisme, responsable du régime de misère, de chômage, d’émigration et d’indignité humaine.
Cette extension du sentiment national, en même temps que son passage à niveau qualificatif plus élevé, n’a manqué de réduire, comme une peau de chagrin, la base de masse du P.C.A., déjà rétrécie par la perte des éléments européens hésitants et instables.
On assiste cependant à certaines initiatives émanant à titre individuel de certains communistes s’efforçant de s’infiltrer dans les rangs du F.L.N. et de l’A.L.N. Il est possible qu’il s’agisse là de sursauts individuels pour retourner à une saine conception de la libération nationale.
Il est certain que le P.C.A. essaiera dans l’avenir d’exploiter ces « placements » dans le but de cacher son isolement total et son absence dans le combat historique de la Révolution Algérienne.
B. La stratégie impérialiste française
La Révolution Algérienne, détruisant impitoyablement tous les pronostics colonialistes et faussement optimistes, continue de se développer avec une vigueur exceptionnelle, dans une phase ascendante de longue portée.
Elle ébranle et ruine ce qui reste de l’empire colonial français en déclin.
Les gouvernements successifs de Paris sont en proie à une crise politique sans précédant. Obligés de lâcher les colonies d’Asie, ils croient pouvoir conserver celles d’Afrique. Ne pouvant faire face au « pourrissement » de l’Afrique du Nord, ils ont lâché du lest en Tunisie et au Maroc pour tenter de garder l’Algérie.
a) La leçon des expériences tunisiennes et marocaines
Cette politique sans perspectives réalistes s’est traduite notamment par la succession rapide de défaites morales dans tous les secteurs :
Mécontentement en France, grèves ouvrières, révoltes de commerçants, agitation chez les paysans, déficit budgétaire, inflation, sous-production, marasme économique, question algérienne à l’ONU, abandon de la Sarre en Allemagne.
La poussée révolutionnaire nord-africaine, malgré l’absence d’une stratégie politique commune en raison de la faiblesse organique de ce qu’a été le Comité de Libération du Maghreb, a acculé le colonialisme français à improviser une tactique défense hâtive, bouleversant tous les plans de la répression esclavagiste traditionnelle.
Les conventions franco-tunisiennes qui devaient jouer le rôle de barrage néo-colonialiste ont été dépassées sous la pression conjuguée du mécontentement populaire et des coups portés à l’impérialisme dans les trois pays frères.
Le rythme de l’évolution de la crise marocaine, l’entrée en lutte armée des montagnards venant renforcer la résistance citadine, et surtout la pression de la révolution algérienne ont été parmi les facteurs les plus déterminants du revirement de l’attitude officielle française et de l’indépendance marocaine.
Le brusque changement de méthode du gouvernement colonialiste abandonnant l’immobilisme pour s’engager dans la recherche d’une solution rapide était dicté d’abord par des raisons de caractère stratégique.
Il s’agissait :
- D’empêcher la constitution d’un véritable second front, en mettant fin à l’unification de la lutte armée au RIFF et en ALGERIE.
- D’achever de briser l’unité de combat des trois pays d’Afrique du Nord.
- D’isoler la Révolution Algérienne dont le caractère populaire la rendait nettement plus dangereuse.
Tous les calculs ont été voués à l’échec. Les négociations menées séparément avaient pour but de tenter de duper ou de corrompre certains dirigeants des pays frères en les poussant à abandonner consciemment ou inconsciemment le terrain réel de la lutte révolutionnaire jusqu’au bout.
La situation politique nord-africaine est caractérisée par le fait que le problème algérien se trouve encastré dans les problèmes marocain et tunisien pour n’en faire qu’un seul.
En effet, sans l’indépendance de l’Algérie, celle du Maroc et de la Tunisie est un leurre.
Les Tunisiens et les Marocains n’ont pas oublié que la conquête de leurs pays respectifs par la France a suivi la conquête de l’ALGERIE.
Les peuples du MAGHREB sont aujourd’hui convaincus par l’expérience que la lutte en ordre dispersé contre l’ennemi commun n’a pas d’autre issue que la défaite pour tous, chacun pouvant être écrasé séparément.
C’est une aberration de l’esprit que de croire que le Maroc et la Tunisie pouvaient jouir d’une indépendance réelle alors que l’Algérie restera sous le joug colonial.
Les gouvernants colonialistes, experts en hypocrisie diplomatique, reprenant d’une main ce qu’ils cèdent de l’autre, ne manqueront pas de songer à la reconquête de ces pays dès la conjoncture internationale leur semblera favorable.
D’ailleurs, il est important de souligner que les leaders marocains et tunisiens formulent dans des déclarations récentes et renouvelées des points de vue rejoignant l’appréciation du FLN.
b) La politique algérienne du gouvernement
Le gouvernement à direction socialiste dès le 6 février, après la manifestation ultra colonialiste d’Alger, a abandonné les promesses électorales du Front républicain : Ramener la paix en Algérie par la négociation, renvoyer dans leurs foyers les soldats du contingent, briser les « féodalités » administratives et financières, libérer les prisonniers politiques, fermer les camps de concentration.
Si, avant la démission de Mendès-France, celui-ci représentait au gouvernement la tendance à la négociation face à la tendance opposée, animée furieusement par Bourgès-Maunoury et Lacoste, aujourd’hui, c’est la politique Lacoste qui fait l’unanimité. C’est la guerre à outrance qui a pour but chimérique de tenter d’isoler le maquis du peuple par l’extermination.
Devant cet objectif accepté par l’unanimité du gouvernement et la presque totalité du parlement français, il ne peut exister aucune divergence, sauf quand cette politique d’extermination dite «de pacification » aura échouée. Il est clair que les buts politiques déclarés à nouveau par Guy Mollet ne servent qu’à camoufler l’entreprise réelle qui veut être le nettoyage, par le vide, de toutes nos forces vives.
L’offensive militaire est doublée d’une offensive politique condamnée, d’avance, à un échec.
La «reconnaissance de la personnalité algérienne» reste une formule vague sans contenu réel, concret, précis. La solution politique exprimée d’une façon schématique n’avait au début d’autres supports que deux idées-forces : celle de la consultation des Algériens par des élections libres et celle du cessez-le-feu. Les réformes fragmentaires et dérisoires étaient proclamées dans l’indifférence générale : provisoirement pas de représentation parlementaire au Palais Bourbon, dissolution de l’Assemblée algérienne, épuration timide de la police, remplacement de «trois» hauts fonctionnaires, augmentation des salaires agricoles, accès des musulmans à la fonction publique et à certains postes de directions, réforme agraire, élections au collège unique. Aujourd’hui le gouvernement Guy Mollet annonce l’existence de 6 ou 7 projets de statuts pour l’Algérie, dont la ligne générale serait la création de deux assemblées, la première législative, la seconde économique, avec un gouvernement composé de ministres ou de commissaires et présidé d’office par un ministre du gouvernement français.
Cela démontre d’une part l’évolution, grâce à notre combat, de l’opinion publique en France, et d’autre part le rêve insensé des gouvernants français de croire que nous accepterions un compromis honteux de ce genre.
La tentative d’isoler les maquis de la solidarité du peuple algérien, préconisée par Naegelen sur le plan intérieur, devait être complétée par la tentative d’isoler la Révolution Algérienne de la solidarité des peuples anti-colonialistes, engagée par Pineau sur le plan extérieur.
Le FLN déjouera comme par le passé les plans futurs de l’adversaire.
Nous mentionnerons l’appréciation sur la situation internationale dans la troisième partie.