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Akufi nt Tikta

Le hirak, l’ANP et la cruciale équation des relations internationales

El Watan, le 05 août 2019

Le 26 juillet, les Algériens vivaient leur 23e vendredi de contestation, entamée le 22 février dernier. Depuis ce jour, beaucoup a été dit et écrit au sujet du hirak, du régime algérien en place, sur la possibilité d’une solution, d’un dialogue ou même d’absence de perspective et de solution.

Alors que la crise semblait – faussement – de nature endogène, d’autres paramètres sont venus se greffer dans certaines analyses. Si les grandes puissances, nommément les Etats-Unis d’Amérique, la France, la Russie ou la Chine ont été citées ici et là, c’est toutefois le micro-Etat des Emirats arabes unis (EAU) qui semble focaliser les esprits.

Le rôle néfaste et destructeur d’Abu Dhabi – mais aussi de l’Arabie Saoudite – sur les tentatives de changement en Syrie, en Libye, au Yémen est cité dans toutes les analyses de la politique régionale de cet émirat. Il n’en fallait pas plus pour suspecter les Emiratis de vouloir exporter leur vision du monde en Algérie.

La Westphalie et le grain de sable émirati

A cet égard, une récente étude soulignait la proximité militaro-économique entre l’ANP et des entreprises émiraties sous-traitant pour la France, l’Allemagne et même Israël(1). Cette proximité expliquerait pour beaucoup l’absence de solution à la crise que traverse l’Algérie depuis plus de cinq mois maintenant.

Souligner cette proximité et attirer l’attention du rôle malsain que jouent certains pays du Golfe dans d’autres pays de la région MENA (Middle East & North Africa) – mais aussi ailleurs dans de nombreux pays africains – relève du bon sens. Toutefois, accorder aux EAU une telle puissance et capacité de nuisance en Algérie semble exagéré et serait leur faire trop d’honneur.

Qualifier le général-major Ahmed Gaïd Salah de laquais de ces derniers, comme dorénavant régulièrement entendu, relève aussi du non-sens. Cet Emirat est certes un grain de sable dans la mécanique politique de nombreux Etats, l’Algérie incluse. Mais ce grain de sable n’est que conjoncturel et s’effacerait à la première tempête de sable provenant de ses parrains occidentaux.

A contrario, le système politique international dont fait partie l’Algérie doit lui être pris en compte dans la recherche de solutions à la crise que traverse le pays. A lire ici et là les analyses, commentaires et autres observations, l’on pourrait croire que cette crise, certes nationale, ne concerne que le peuple algérien et ses dirigeants. Gravissime erreur !

Les Algériens reprochent très souvent à leurs dirigeants – et à juste titre – de vivre dans une bulle ignorant les réalités du monde extérieur. Ce reproche peut aujourd’hui se retourner contre eux qui semblent dangereusement ignorer dans l’équation qui les oppose aux dirigeants du pays que l’Algérie fait partie intégrante d’un système politique international pensé et conceptualisé sans eux il y a près de 400 ans. Cela, les tenants du pouvoir, et en particulier les militaires, en ont par contre bien conscience.

Ce système politique mondial pensé et conceptualisé en Westphalia (Allemagne) en 1648 résultait d’un simple constat : des décennies de guerres fratricides convainquirent les dirigeants européens du besoin de créer un système politique d’entente internationale à même d’éviter ces atrocités. L’Histoire nous enseigne depuis que ce système n’a nullement mis un terme aux guerres et aux massacres. Mais cette gouvernance qui perdure et sur laquelle sont venus se greffer les Etats-Unis demeure aujourd’hui la clé de voûte des relations internationales, le système politique moderne actuel s’étant bâti sur ce modèle westphalialien.

C’est donc à travers ce prisme westphalialien qu’il faut analyser le rôle des EAU en Algérie et ailleurs. Tels de vulgaires mercenaires, les EAU se font les sous-traitants d’une politique déstabilisatrice et destructrice afin de perpétuer le vieil ordre mondial décidé au XVIIe siècle.

C’est pour cela que (trop) se focaliser sur ce micro-Etat serait se tromper de cible et une perte de temps. Si de par leur puissance financière les EAU sont, il est vrai, une hajra fi al sobat (un caillou dans la chausure) pour l’Algérie, celle-ci sera facilement retirée le moment venu. Et si leur capacité de nuisance est bien réelle, elle n’est toutefois que conjoncturelle. Et ne doit donc pas être surestimée et surtout nous empêcher de voir où se situe vraiment le centre de pouvoir et d’intérêt. Car in fine, les relations entre les EAU et leurs alliés français ou américains ne sont rien d’autre qu’une «symmachie».

Le dernier des Mohicans

L’Algérie, Etat pivot par excellence, demeure à ce jour un partenaire régional-clé des puissances mondiales. Mais un partenaire dont les marges de manœuvre, aussi larges soient-elles, n’en sont pas moins limitées par ses engagements au sein du système politique international auquel il contribue. A cet effet, selon la doctrine Monroe, si la politique d’un Etat demeure raisonnable et respecte ses obligations, Washington n’a aucune raison d’intervenir(2). «Efficacité raisonnable» et «obligations» sont cependant deux termes absolument abstraits pour le commun des mortels.

Pas pour les hauts gradés de l’ANP. Ni pour certains diplomates et politiciens algériens en poste ou qui le furent.

A ce sujet, le grand historien français, Jacques Berque, écrivait un jour que les puissants de ce monde ne laisseront jamais se développer à leur guise trois pays arabes : l’Irak, l’Egypte et l’Algérie. De par leurs idéologies politiques, leurs histoires, leurs populations instruites et leurs potentiels économiques, ces trois Etats doivent demeurer sous un étroit contrôle. Nous savons ce qu’il est advenu de l’Irak. Nous voyons l’état de déliquescence dans lequel est plongé l’Egypte. Si Washington, Paris, Moscou ou Berlin se sont jusqu’à présent abstenus de faire de fracassantes déclarations ou communiqués publics sur la situation actuelle, ces partenaires de l’Algérie n’en pensent toutefois pas moins.

Et les discussions de couloir avec Alger, à l’abri des regards et des oreilles qui traînent sont elles bien réelles. La teneur de ces discussions pourrait nous éclairer énormément sur la direction que pourrait prendre l’Algérie. A cet égard, c’est sans nul doute à travers ce prisme qu’il faut (fallait) comprendre les visites de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra à Moscou, Berlin ou Beijing en mars dernier. Rappeler que l’Algérie tenait son rang dans le concert des nations.

Mais aussi rappeler qu’Alger sait composer avec tout un chacun. Washington et Moscou. Cela, nul n’a voulu admettre et surtout accepter cette donne cruciale. Lamamra savait lui, mieux que quiconque qui sévit sur les réseaux sociaux, quels sont les enjeux de long terme pour l’Algérie et son peuple. Car les dangers extérieurs et intérieurs qui guettent l’Algérie sont réels. Les chaos malien et libyen sont là pour rappeler que le pays est entouré de profondes instabilités régionales.

La malédiction d’Internet et des réseaux sociaux

Nous vivons une ère de l’immédiateté profondément dangereuse pour l’homme et les Etats. En effet, à l’heure d’internet, Twitter, Facebook ou bien encore Instagram, l’heure n’est plus à la réflexion. Nous sommes aujourd’hui (télé)guidés par le factuel, ignorant ainsi le conceptuel, le consensus plus que l’introspection. Cette dictature de l’immédiateté biaise les débats, plus influencés par l’humeur du moment que par des arguments raisonnés. Car les faits n’expliquent pas tout. Et encore moins à cette époque où une information vient immédiatement effacer une autre.

C’est pour cela que le savoir à travers les livres demeurera toujours une expérience différente du savoir obtenu en ligne. (Malheureusement), lire requiert énormément de temps. Ce qui nous pousse à lire beaucoup (sur internet) mais mal. La conséquence étant que la frontière entre l’information, le savoir et la sagesse s’en trouve altérée voire même affaiblie. Car si l’accumulation d’informations à travers internet est elle bien réelle, elle pousse toutefois le savoir et la sagesse plus loin encore vers les marges.

Ce trop-plein d’informations empêche en retour tout discernement de situations complexes comme celle que traverse actuellement l’Algérie et qui demandent des solutions (stratégiques) de long terme. C’est sans doute pour cela qu’Henry Kissinger, l’ancien Secrétaire d’Etat des Etats-Unis a créé le parallèle entre l’ancienne et la nouvelle diplomatie. Selon lui, si la première pouvait se tromper, elle n’en demeurait pas moins consciente des enjeux à venir.

La nouvelle, elle, a tendance à tendre l’oreille auprès d’une large audience, ignorant ce faisant non seulement les réelles intentions de cette audience, mais plus encore, les conséquences sur le long terme(3). Ce tsunami digital sur lequel les masses surfent toutes ensemble sans discernement aucun est aujourd’hui un réel danger pour l’Algérie et ses relations avec ses partenaires principaux. Pour rappel, émotion et politique n’ont jamais fait bon ménage.

A cet égard, il semblerait que l’autisme du régime sourd et ignorant les souffrances du peuple algérien depuis des décennies ait contaminé une frange de la population, se revendiquant du hirak. Une frange élitiste hyper connectée et très active sur les réseaux sociaux. Et si les hommes et les femmes derrière le système en place depuis 1962 et renforcé sous l’ère de Bouteflika ont porté l’Algérie au bord de la falaise, c’est aujourd’hui cette élite hirakienne qui par son autisme, son arrogance et sa suffisance risque de finir par pousser le pays au fond du précipice. Une élite qui, il est bon de le rappeler, ne possède ni les vertus d’un Gandhi ni la sagesse et l’honnêteté intellectuelle et politique d’un Mandela.

Rien n’est figé, mais…

Si les règles internationales ne sont bien entendu ni figées ni immuables, le système politique pensé et conçu au XVIIe siècle à de beaux jours devant lui. Plus encore, si les plaques tecto-niques des relations internationales élaborées en 1648 bougent, sans nul doute l’ordre mondial n’est pas près de s’effondrer. Il est certes constamment et de plus en plus malmené et contesté, mais il n’en demeure pas moins bien enraciné. Et penser que ce système qui conforte un monde structuré par un modèle de pouvoir qui ne doit changer qu’à la marge(4) peut être totalement déraciné en quelques semaines, mois et même années, relève plus de la candeur poli-tique que d’une quelconque utopie ou doux rêve.

L’élan du hirak est aujourd’hui amplifié par la récente et magnifique victoire de la CAN au Caire de l’équipe nationale de football. Plus rien n’est désormais impossible, à en croire cer-tains qui se sentent pousser des ailes. Au risque de se brûler. Cette euphorie risque toutefois de remettre aux calendes grecques une réelle opportunité pour les Algériens de s’engager dans une profonde transition socio-politico-économique.

Le peuple algérien doit savoir que quoi qu’il arrive, personne, ni en Algérie, ni ailleurs à travers le monde ne pourra lui retirer cette magnifique victoire qu’il vient d’obtenir face au régime algérien. Quoi qu’il arrive, ce peuple algérien sera le héros mondial de cette année 2019. Quoi qu’il arrive encore, il y aura dorénavant un avant et un après 22 février.

Et quoi qu’il arrive toujours et encore, cette victoire, ces slogans, ces magnifiques images demeureront à jamais comme partie intégrante des glorieuses dates et victoires de l’Histoire de la nation algérienne. Quoi qu’il advienne, en sus d’avoir mis un terme à la régence de Bouteflika et de sa camarilla, le hirak aura surtout largement contribué à challenger et restructurer le système politique en place, et ce, pour des générations à venir. En Algérie, mais sans nul doute aussi ailleurs dans la région, à travers le continent. A condition…

Je soulignais en mars dernier que le hirak est la continuation d’une Révolution entamée en 1954 mais qui demeure inachevée(5). Il n’est aussi pas la fin, mais une étape supplémentaire vers une autre Algérie, meilleure encore. Penser que le hirak est l’étape finale serait une erreur gravissime. La complexité du monde politique et ses incertitudes doivent nous pousser à une extrême vigilance. Car au risque de le répéter, toutes les cartes du système politique international ne sont pas entre les mains des Algériens. Loin s’en faut !

Nous sommes à l’aube d’un nouveau système politique algérien et peut-être même mondial. Aux Algériens de l’inventer et de s’en approprier la paternité. Mais pour cela, la sagesse et le savoir ne seront pas de trop. Les révolutions, les progrès, sont un processus de longue haleine, jalonnés de différentes étapes sans fin. Penser obtenir le summum (surtout en politique) en une seule étape est un leurre. Pire encore, comme le disait le philosophe Edmund Burke, «à trop vouloir tout obtenir immédiatement, le risque de désillusion peut être énorme».

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