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La chute de Bouteflika et la fin d’un système : Etat des lieux

El Watan, le 06 avril 2019

«Ceux qui ne connaissent pas leur passé sont condamnés à le revivre.» Goethe

De nombreuses contributions animent le débat autour de ce qui fait désormais consensus : la nécessité de changer de «système» et d’inaugurer la deuxième République.

Ce consensus sur ce changement était, hier encore, une utopie. C’est la première victoire du mouvement populaire.
Cependant, si on ne clarifie pas a minima ce qu’on entend par «système», on aura peu de chance d’en sortir et la «deuxième»

République ressemblera à s’y méprendre à la première.
Ce n’est pas en effet la première fois que le système reconnaît la nécessité de changer le système. C’est ainsi que la fameuse citation de G. Lampedusa «Il faut que tout change pour que rien ne change» est devenue la devise officieuse d’un pouvoir informel mais bien réel.

Pour rappel, l’Algérie a eu depuis 1962 quatre constitutions et six amendements constitutionnels. Dix Lois fondamentales qui toutes proclament la souveraineté populaire comme source du pouvoir et l’Etat de droit, c’est-à-dire la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. Au final, ni l’un ni l’autre de ces principes démocratiques fondamentaux ne furent jamais respectés.

Comment faire donc pour qu’ils le soient enfin dans cette deuxième République qui fait consensus ?
Comment faire pour qu’une nouvelle Constitution démocratique ne reste pas lettre morte comme les précédentes ?
Comment faire pour que le «système» ne se régénère pas sous de nouvelles apparences ?

Le cœur du «système», c’est la confiscation de la souveraineté nationale, depuis 1962, au profit d’un groupe qui se substitue dans les faits à la nation. A l’origine, cette confiscation est justifiée par ses promoteurs, par la notion paradoxale de «dictature démocratique» qui fonde les «démocraties populaires» et qui se caractérise, entre autres, par la domination absolue du pouvoir exécutif. L’option socialiste autoritaire révolue, cette méthode de gestion de la souveraineté lui a subsisté dans les faits jusqu’à nos jours.
La souveraineté, c’est le pouvoir de décider des grandes orientations du pays, c’est le pouvoir de nommer ceux qui vont exercer le pouvoir, c’est ce pouvoir souverain dont dispose en théorie depuis 1962 le peuple.

En théorie seulement

Ce groupe, dont la composition a évolué dans le temps, a fait couler beaucoup d’encre, généré beaucoup de spéculations. Spéculations inutiles car ces groupes, qui exercent une dictature collégiale, sont par définition opaques et agissent hors de toute norme.

En Algérie, on connaît ceux qui exercent le pouvoir, on ne connaît pas ceux qui disposent de la souveraineté. C’est la règle du jeu politique en Algérie depuis l’indépendance, des institutions formelles apparentes, un pouvoir réel officieux.

C’est cette règle du jeu qui fait l’instabilité structurelle du régime, où chaque alternance à la tête de l’Etat est une crise.
Cette crise que nous vivons à nouveau devient une crise institutionnelle, car il apparaît au grand jour que les institutions ne remplissent pas leur mission qui est de réguler l’exercice du pouvoir selon les termes de la loi.

L’attitude du Conseil constitutionnel qui vient à nouveau d’avaliser un acte anticonstitutionnel de l’Exécutif et ignore à ce jour, au mépris de l’évidence, l’autosaisine pour l’application de l’article 102 est, à cet égard, emblématique. C’est ce qui fait que cette crise politique est profonde et qu’un simple toilettage de la Constitution ou des institutions ne résoudra rien.

«Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain»

L’Etat qu’on peut ainsi qualifier de «patrimonial», a cependant bâti en quelques décennies une administration aujourd’hui indispensable et dont le bilan n’est pas aussi négatif qu’on le dit souvent. Cet Etat a toutefois atteint ses limites, la crise que nous vivons en témoigne. Le passage revendiqué à un Etat républicain vise à améliorer les choses, à construire et non à détruire.

Il faut, comme dit l’adage, «ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain». C’est ce que manifeste le caractère pacifique du mouvement.
S’en tenir à une élection présidentielle dans le cadre institutionnel actuel ne serait toutefois rien d’autre que reconduire le «système». Il faut souligner que le «Bouteflika bashing», qu’on peut comprendre, a cependant le défaut de nous distraire de l’essentiel.

L’enjeu central du mouvement en cours est le transfert réel de la souveraineté à son seul détenteur légitime, le peuple algérien, afin que puisse s’édifier un Etat de droit et une démocratie stable.

Dans le débat en cours, l’un des points clivants à propos de la nécessaire nouvelle Constitution, pierre angulaire du changement, concerne le pouvoir constituant. Doit-il émaner d’un groupe, d’un comité d’experts et de personnalités reconnues, ou d’une

Assemblée élue ?

Pour que l’évolution en cours, portée par un formidable mouvement populaire réalise de manière effective et symbolique le transfert de la souveraineté aux citoyens, il faut un processus démocratique. Toute autre procédure aboutirait à une reconduction du système comme par le passé.

Le passage à la souveraineté populaire est un changement de régime, une nouvelle règle du jeu et non un simple changement de Constitution.

Ce changement ne peut se faire dans le cadre institutionnel voulu par le «système» qui continuerait, comme il l’a toujours fait, à détourner cette souveraineté à son profit.

L’acte inaugural, le nécessaire moment fondateur de la IIe République, ne peut être qu’un processus constituant décidé par la nation.

Sans Constituante élue, il n’y aura ainsi pas de IIe République. Il y aura, tout au plus, une nouvelle Constitution aussi inopérante que les précédentes.

C’est donc à une Assemblée constituante élue et pleinement souveraine qu’il faut confier la tâche de fonder les institutions et la Constitution de la IIe République.

Cette approche permettra en outre de résoudre un problème politique urgent et grave. Celui de la crise de confiance entre la nation et les institutions ainsi que ses élites.

Cette crise de confiance et de légitimité pose en effet un problème de gouvernabilité. Il faut restaurer la confiance par un processus démocratique.

Les arguments en faveur d’un cycle plus court et moins ouvert pèsent de peu de poids face à ces enjeux cruciaux.
Certains évoquent cependant l’argument économique pour dissuader de procéder à un tel changement qui aggraverait la crise.

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En réalité, toutes les études le montrent : le principal obstacle à l’investissement et à la croissance en Algérie, c’est précisément l’instabilité juridique, l’opacité, la bureaucratie et la corruption, tous consubstantiels à la gouvernance du «système».

Le signal d’une sortie réelle du «système» pour plus de transparence et moins d’arbitraire sera interprété par tous les acteurs économiques comme la possibilité de réaliser enfin le fameux potentiel économique de l’Algérie.

A contrario, la reconduction du «système» sous d’autres formes continuera à jouer un rôle de frein au développement. Beaucoup d’Algériens expatriés disposant d’expérience professionnelle avérée, manifestent aussi leur impatience de contribuer au développement de leur pays si la règle du jeu change véritablement.

Tout le monde a en outre noté le comportement civique des Algériens qui s’interdisent toute dégradation et refusent, jusqu’ici, tout recours à la grève comme instrument politique.

Enfin, il faut rappeler qu’avec plus de 95% de recettes d’exportation dues aux ventes d’hydrocarbures, l’économie algérienne qui n’est pas une économie ouverte n’est donc pas exposée aux mouvements intempestifs de capitaux étrangers, dont le niveau d’investissement en Algérie est ridiculement bas, ou à une baisse brutale d’activité de service tels que le tourisme, quasiment inexistant.

Ce sont ces éléments qui ont pu fragiliser les transitions de pays tels que la Tunisie pour ne pas la nommer.
Ce ne sont pas les possibles comportements erratiques des quelques malheureuses valeurs de la bourse d’Alger qui risquent de plonger le pays dans la crise…

Deux expériences édifiantes, proches de nous, viennent en outre nous rappeler l’importance d’une procédure démocratique de changement.

L’Egypte, d’une part, qui après le départ de Moubarak a, sans rien changer aux institutions, procédé à une élection présidentielle (juin 2012), puis a modifié sa Constitution sans respecter les procédures démocratiques (promulgation, novembre 2012, puis plébiscite, décembre 2012). Le déroulé prévisible des événements a conduit à la catastrophe que l’on sait.

La Tunisie, d’autre part, qui s’est attelée à refonder, d’abord, ses institutions par une procédure démocratique et une Constituante est à ce jour le seul pays arabe en voie de réussir l’instauration d’une démocratie et d’un Etat de droit.

Ajoutons qu’en prévision d’un tel moment, l’opposition politique algérienne, trop souvent injustement dénigrée, a eu l’intelligence d’élaborer à travers l’ISCO et le CTLD, une plateforme, une charte en quelque sorte, qui affirme un accord sur les valeurs démocratiques et préfigure ce que serait le préambule de la future Constitution.

Ce compromis reflète bien l’état de l’opinion et écarte la menace à laquelle tout le monde pense et dont personne ne parle.
Les nouvelles générations qui s’initient à la politique et font l’admiration de tous sont aussi clairement portés par les valeurs démocratiques. Ainsi, les débats que nos voisins ont connus lors de leur Constituante, dont la durée a excédé les délais prévus, ont, pour l’essentiel, déjà eu lieu chez nous.

Dans un contexte où des institutions-clefs, présidence et Conseil constitutionnel, ont décidé par simple décret une suspension de la Constitution, c’est à une structure ad hoc, non prévue par la Constitution, qu’il faut confier la tâche d’organiser le processus constituant démocratique de la IIe République.

La crise institutionnelle et l’expression massive des citoyens pour une IIe République sont en effet d’abord une question politique. Quant au droit, il s’agit précisément de bâtir de nouvelles institutions pour qu’il soit enfin respecté.

La plupart des contributions pour une sortie de crise prennent acte de cette suspension de la Constitution et demandent la mise en place d’une instance de transition pour gérer le passage à la IIe République.
L’instance de transition est le point névralgique de ce moment politique. Qui peut décider de sa composition de sorte qu’elle soit légitime ? Quels seraient ses pouvoirs ?

Pour ce qui concerne la composition de cette instance, il n’existe pas de solution toute faite car on écrit sur une page blanche. La structure de transition, peu importe sa dénomination, fait cependant consensus pour les partisans d’un changement réel.

Un panel de personnalités issues de la société civile, des partis d’opposition et des associations pourraient la constituer sur la base de sondage, ou de vote électronique en utilisant les technologies sécurisées de blockchain. L’idéal serait que des coordinations se mettent en place au niveau de chaque wilaya pour participer au choix des membres de l’Instance de transition.

De nombreuses contributions sont produites quotidiennement pour trouver une solution, proposer des noms. La synthèse de ces contributions permettra d’apporter une réponse pragmatique et consensuelle à la question de la composition de l’Instance de transition.

A la deuxième question, la réponse peut être le mandat impératif.

Le mandat impératif définit précisément les tâches que le mandat impose et limite le pouvoir de l’Instance de transition, ce qui réduit la portée des débats sur le problème posé par sa constitution. La composante de l’Instance de transition est donc moins importante que la définition des tâches qu’elle aura à accomplir.

L’instance de transition aurait un certain nombre de tâches précises, impératives et exclusives à accomplir :

– garantir dans cette période de transition, la continuité de l’Etat et de l’administration ;
– désigner une commission de juristes qui proposeront l’abrogation des lois et règlements liberticides sur les associations, les syndicats, les médias, les droits d’expression, de réunion et de manifestation ainsi que sur le code électoral ;
– proposer par voie référendaire un processus constituant. Le processus constituant définira les étapes et les délais de réalisation de la Constitution. Le même vote élira à la proportionnelle une nouvelle Assemblée qui pourra être l’Assemblée constituante. Le référendum pourra être assorti de questions réclamées par l’opinion, telles que l’utilisation du sigle FLN ;
– proposer un gouvernement technocratique restreint qui sera responsable devant l’Assemblée. Le mandat de ce gouvernement prendra fin dès la mise en application de la nouvelle Constitution ;
– la Constitution élaborée par l’Assemblée constituante sera soumise à référendum dans les délais prévus par le processus constituant ;
– dès que la nouvelle Constitution est applicable, l’Instance de transition est dissoute.

Cette nouvelle Constitution ainsi établie pourra doter l’Etat d’institutions qui garantissent son applicabilité, sa réalité. En particulier garantir la légitimité des institutions et l’indépendance de la justice qui sont la véritable colonne vertébrale d’un Etat moderne.

Ces moyens existent dans toutes les Constitutions et lois des Etats démocratiques. Gageons que les Algériens, si soucieux d’équité, sauront définir les formes qui leur conviennent.
Une nouvelle Constitution, de nouvelles institutions, sont les premiers pas pour une réelle IIe République. Il y en aura d’autres nécessaires, dans le cadre d’un processus de réappropriation de l’Etat par une société civile qui vient de s’exprimer massivement dans ce sens.

Ces premiers pas sont cependant les plus importants, d’où la nécessité d’assurer un processus constituant solide et légitime, c’est-à-dire démocratique.

L’opinion est souvent portée par un vent de «dégagisme» qu’on peut comprendre, mais qui, à supposer qu’il soit toujours justifié, ne résoudra rien si on ne modifie pas la règle du jeu.

Changer les acteurs sans changer la règle du jeu, c’est changer pour que rien ne change.

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