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Mohamed LAHLOU

La chute de Bouteflika et la fin d’un système : Etat des lieux

El Watan, le 05 avril 2019

Le défi qui attend l’Algérie est celui d’ouvrir une nouvelle page de son histoire en rupture avec un système dont le peuple a demandé la fin après s’être opposé au 5e mandat de Abdelaziz Bouteflika qui porte la responsabilité de l’impasse dans laquelle se trouve actuellement le pays.

Après avoir candidaté pour un 5e mandat, après avoir affirmé que cela n’était pas dans ses intentions, après avoir annoncé sa décision de ne pas briguer un nouveau mandat mais de s’engager dans la gestion d’une transition, après avoir été menacé de l’application de l’article 102, il ne restait plus à Abdelaziz Bouteflika que d’annoncer sa démission. Un simulacre tardif de démission qui renvoie brutalement l’Algérie vers une crise sans précédent.

Une telle situation, l’Algérie n’est pas la première à la vivre. D’autres pays avant elle l’ont vécue plus ou moins difficilement, en Europe de l’Est en particulier, s’il faut faire un parallèle plus précis. Pourtant, l’Algérie a son originalité, sa spécificité et ses propres expériences. C’est de tout cela que nous devons tirer les enseignements pour une sortie de crise réussie.

La rue algérienne et ses expériences

La rue algérienne est devenue en peu de jours une immense et généreuse agora où l’on clame ce qui fut de l’ordre de l’interdit depuis plusieurs décennies.

Depuis plusieurs semaines, le peuple algérien a investi toutes les places d’Algérie pour dire ce qu’il veut et pour dénoncer le pouvoir des ruses et de l’évitement. Si chaque vendredi fut l’apothéose de la revendication populaire, entre deux vendredis les rues n’ont pas été laissées vides par les manifestations des avocats, des architectes, des travailleurs, des enseignants ; et, les amphithéâtres des universités sont devenus des espaces de débats et de propositions.

C’est dire que toute l’Algérie a vécu et continue de vivre sa passion de changement et son besoin de libre parole. Aucune ville, aucune catégorie sociale, aucune tranche d’âge, aucune région n’a été en reste. C’est un fait inédit que de voir un tel peuple dans la rue, des manifestants aussi déterminés et aussi pacifiques. C’est dire que ce peuple était décidé à mettre fin à l’impertinence d’un 5e mandat et à un système insolent.

Incontournable, non manipulable, la Rue a traduit ses messages en slogans et elle y a tenu imperturbablement. Cela aurait été une folie que d’ignorer qu’elle était décidée à aller jusqu’au bout.

Du pouvoir et de l’armée

Durant de longues années , sinon depuis la crise de l’été 62, il y a eu, pour les citoyens, une confusion entre l’armée et le pouvoir ; ils ont vu l’armée décider du pouvoir ou aller au secours du pouvoir. L’armée des frontières est venue créer une première fracture entre l’ALN et ce qui allait devenir l’ANP ; puis sont arrivés tous les épisodes durant lesquels l’armée a fait et défait les gouvernants et géré la répression des oppositions. Le plus important traumatisme est, sans conteste, celui d’Octobre 88, avec la mort de ses centaines de jeunes.

Les journées d’Octobre 88 ont été également un traumatisme pour l’armée qui s’est reconstruit, durant la décennie noire, une nouvelle image auprès du peuple. C’est cette continuité que la Rue a traduit par le slogan rassurant de pacifisme «l’armée et le peuple, frères» ; un slogan qui a été pour beaucoup dans le déroulement des manifestations.

Malgré cela, des incertitudes sont restées quant à la manière dont ont été traitées les premières manifestations, puis l’accompagnement des tergiversations de Bouteflika à abandonner l’idée du 5e mandat, puis celle de la gestion de la transition. Il est resté que, pour le peuple, l’armée risquait, après avoir lâché Bouteflika, d’être un soutien pour la continuité du système. La dernière déclaration de l’état-major de l’armée qui s’engage à aller jusqu’au bout avec les manifestants n’a pourtant pas diminué leurs appréhensions de la voir soutenir un système en déconfiture.

Des partis politiques et du mouvement associatif

Après Bouteflika et le clan présidentiel, les partis politiques sont actuellement les grands perdants du Mouvement de protestation. Les partis de ce qu’on a appelé «la mouvance présidentielle» portent la responsabilité du ratage d’une candidature sans lendemain. Ils n’ont même pas cherché à justifier, par une argumentation crédible, le 5e mandat de Bouteflika et ont été, par des manœuvres puériles de basse propagande, les acteurs de scènes tragi-comiques et d’une infantilisation des couches populaires.

Quant aux partis de l’opposition, ils n’ont pas su s’inscrire dans le mouvement populaire. Certains ont tardé à prendre la mesure de ce qui se passait réellement dans le pays, d’autres ont tergiversé en espérant un compromis avec le pouvoir, d’autres enfin ont tenté une impossible récupération faute de pouvoir mobiliser une base militante conséquente..

Les tentatives de proposer des sorties de crise n’ont pas reçu les échos nécessaires, ni auprès des manifestants, ni de la part du pouvoir qui a agité le spectre de l’islamisme et le risque programmé d’un retour aux années de terrorisme. C’était oublier que, depuis les années 90’, d’une part, l’islamisme, en Algérie, a perdu le terrain de la contestation et celui de l’alternative au pouvoir ; et, que, d’autre part, la jeunesse algérienne a, depuis, porté son regard ailleurs.

Le mouvement associatif a, pour sa part, gagné des lettres de noblesse parce qu’il a su rester auprès du peuple durant ces manifestations. Il reste, cependant, encore fragile pour pouvoir capitaliser les dividendes d’un mouvement aussi massif que spontané.

Il reste le poids de quelques personnalités indépendantes qui ont émergé par leur présence au cœur des manifestants et grâce au pouvoir des réseaux sociaux. Il leur restera encore à contribuer à la proposition d’un projet de société et d’un programme de sortie de crise.

Du pouvoir et des pouvoirs parallèles

Le peuple a définitivement intériorisé le fait que le système dont il demande le départ est celui qui a mis à mal le pays depuis qu’il a usurpé le pouvoir dès les premiers jours de l’indépendance. Il considère, en outre, ce système comme responsable de toutes les dérives politiques et n’oublie pas qu’il fut responsable des répressions de 1980, 1988 et 2001. Le mouvement de 2019 est d’une autre nature et d’une autre dimension ; il a mûri politiquement, il est porté par une jeunesse qui n’a pas connu la décennie noire, qui est ouverte au monde et qui a accédé à une culture universelle.

L’arrivée de Bouteflika avait certes suscité quelques espérances avec la fin du terrorisme, mais elle a vite grand ouvert les portes de la corruption et de la supercherie constitutionnnelle pour le besoin mégalomanique d’un pouvoir à vie. Son AVC à la veille d’un 4e mandat, déjà contesté, n’a pas, pour autant, empêché l’exercice d’un «mandat de l’absent» et l’incroyable désir de se présenter pour un inimaginable 5e mandat unanimement rejeté. L’absence d’éthique et le misérabilisme moral d’une meute de courtisans ont fait croire à l’entourage de Abdelaziz Bouteflika que tout était possible dans le meilleur des mondes.

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