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Kamel SALHI

Craintes légitimes des hauts et des bas des mouvements populaires comme le hirak

El Wata, le 01 juin 2019

celles et ceux qui craignent légitimement que l’espoir ne se transforme en frustration, les cycles fluctuants du mouvement populaire national du 22 février 2019 ne peuvent pas être évités. Il s’agit donc de voir comment les militants, activistes, animateurs, parties prenantes peuvent transformer les périodes de pointe d’activité en un changement social durable et de fond.

Préambule

C’est dans la crainte, l’espoir, la colère et peut-être la culpabilité qui transpirent de l’activisme du hirak, que nous pouvons lire les émotions essentielles des manifestants d’une Algérie nouvelle. Leur gestion influe sur les motivations et les stratégies de leur mobilisation. Cet argument peut reposer sur le principe théorique selon lequel les émotions dynamisent et orientent toutes les actions.

Les images de témoignages diffusées en boucle sur plusieurs chaînes de télévision et rapportées par les médias et les réseaux sociaux nous laissent voir, entendre et comprendre que la crainte ou la méfiance motive l’action en sensibilisant à la menace d’un chaos politique, économique ou social. Le potentiel d’alerte de la crainte est médiatisé par l’espoir : celui-ci stimule l’action tandis que l’action collective génère de l’appréhension et gère la peur. La capacité de cette dernière est perçue intérieurement mais refoulée comme une émotion conductrice et efficace lors de la mobilisation. Pancartes et caricatures soulignent des messages positifs pleins d’espoir.

La colère est traitée avec prudence comme une émotion à pacifier et transformer car l’idée est que, dans leurs interactions, les uns provoquent ou suppriment volontiers ces sentiments afin de maintenir la physionomie extérieure qui produit le bon état d’esprit chez les autres. Sans crainte de le dire, et bien qu’employer le mot de «civilisation» dans l’espace médiatique soit devenu problématique, nous sommes dans une mouvance civilisationnelle en marche.

Cette mouvance n’apparaît sous aucun signe héréditaire, mais sous tout ce que les générations humaines en général, et algériennes en particulier, se transmettent les unes aux autres de manière non biologique. Ce hirak sans précédent permet justement de prendre conscience des prémices d’une possible culture politique commune en Algérie, pour peu que l’occasion soit bien saisie et cette culture se développe en expérience féconde.

Autrement dit

Les masses populaires impliquées dans des mouvements populaires partagent une expérience commune lorsqu’une cause attire l’attention de leurs sympatisants ou qu’un événement déclenche une vague de protestation massive. Il peut donc y avoir des périodes d’activité intense lorsque plus de monde se précipite pour rejoindre la cause ; et l’énergie du mouvement augmente. Mais les moments extraordinaires de beaucoup de mouvements en Algérie sont souvent suivis de longues périodes de jachère lorsque le nombre de participants ou de militants diminue et que les défenseurs commencent à lutter pour attirer l’attention de tous. Au cours de ces accalmies, celles et ceux qui ont goûté à l’euphorie d’un moment fort peuvent donc se sentir découragés ou pessimistes. Les hauts et les bas de ces mouvements peuvent être difficiles à supporter.

Certes, les activistes qui luttent contre l’injustice culturelle ou identitaire, ou politque, ou économique ou sociale, ont constaté ce phénomène après leurs protestations massives respectives. Beaucoup de celles et ceux qui ont lutté dans ces mouvements ont connu leur propre découragement après les nombreuses manifestations de ces dernières années ou decenies. Et même les membres de mouvements qui ont eu beaucoup de succès – tels les militants du Mouvement culturel berbère (MCB) de 1980 qui ont contraint le pouvoir à mettre en œuvre une version de facto de la plateforme des revendications – ont traversé des périodes de déflation en dépit de leurs avancées majeures.

Nous citerons aussi les mouvements pour les droits des femmes qui obtiennent de timides amendements du Code de la famille, mais qui s’estompent à la faveur d’une formation féministe élitiste qui perd des bases populaires. Ou encore le mouvement islamiste qui enregistre des positions de haute responsabilité mais par la circonstance de concessions de l’esprit de son idéologie. Plus loin dans l’histoire, les défenseurs des droits du mouvement Larouch ont ressenti un sentiment d’échec et de frustration à la suite de la campagne historique de 2001.

Après que les soulèvements intensifs se soient refroidis, de nombreux participants abandonnent simplement leur tâche et se lancent dans d’autres activités ; même les personnes engagées dans l’activisme en cours se demandent comment elles peuvent impliquer davantage de personnes sur le long terme. Malheureusement, les cycles fluctuants des mouvements populaires ne peuvent être évités. A la différence de l’organisation communautaire, qui met l’accent sur la construction lente et régulière de structures organisationnelles, les mouvements de protestation de masse sont inhérents aux mouvements de va-et-vient.

Les soulèvements à grande échelle peuvent avoir un impact majeur sur la conscience publique, mais ils ne peuvent jamais durer très longtemps. Le fait qu’ils disparaissent ne signifie pas qu’ils manquent de valeur ou de caractère pertinent et persuasif. Le mouvement hirak, pour sa part, a déjà remporté un succès relatif en raison de sa mobilisation de masse, de son degré de conscientisation inédite et de l’utilisation novatrice de l’action directe non violente. Mais cela présente un défi : sans compréhension des cycles de mouvement, il est difficile de lutter contre le découragement.

Comment donc pouvons-nous savoir quand les mouvements perdent leur energie – et quand sont-ils prêts à raviver ? Et comment les participants ou activistes traduisent-ils les périodes de pointe d’activité en un changement social substantiel et durable ? Bien sûr, créer un changement social est beaucoup plus délicat que de chauffer les esprits. Les mouvements progressent par étapes. On n’obtient pas tout d’un coup. Dans le champ académique de la théorie du mouvement social, qui a connu une croissance importante dans les années 70’ et 80’, les spécialistes comprenaient de mieux en mieux la façon dont le changement social se produisait à travers ce que le sociologue Sidney Tarrow appelle des «cycles de controverse».

Les analyses académiques classiques de Charles Tilly, par exemple, soutiennent que les mouvements passent par quatre étapes : émergence, coalescence, bureaucratisation et déclin. La dernière étape n’est pas nécessairement négative : les mouvements sont parfois vaincus ou réprimés, mais ils s’effacent parfois parce qu’ils ont obtenu gain de cause.Ces théories, bien qu’élucidantes, ont des limites d’applicabilité, donc d’autres concepts propres au particularisme algérien doivent se développer. C’est ce que les sections qui suivent tenteront d’ébaucher.

Expériences portant à la vertu

En dehors du monde universitaire classique, divers activistes de par le monde ont exprimé leurs propres idées. En 1921, Mohandas Karamchand Gandhi écrivait dans Young India : «Chaque mouvement positif passe par cinq étapes : l’indifférence, le ridicule, l’abus, la répression et le respect». Parce que la position de Gandhi met en évidence le risque de résistance à la résistance par les autorités, la perspective de progresser dans ses étapes semble moins attrayante que de suivre le modèle des universitaires.

Mais Gandhi pensait que les dissidents sont renforcés par les épreuves qu’ils subissent. «Chaque mouvement qui survit à la répression, légère ou sévère, exige invariablement le respect», a-t-il affirmé ; ce qui est un autre nom du succès. Au cours des dernières années, l’acteur et militant britannique Tim Gee est allé jusqu’à proposer un modèle en quatre étapes basé sur une maxime populaire qui reflète le sentiment de Gandhi. Cette version dit : «Ils vous ignorent d’abord, puis ils se moquent de vous, puis ils vous combattent, alors vous gagnez».

Tous ces différents modèles ont une certaine valeur, mais ils posent également des problèmes. Un des problèmes est que diverses propositions d’étapes séquentielles pour les mouvements portent l’impression d’inévitabilité implicite. Les théories académiques, en particulier, suggèrent une sorte de progression linéaire qui ne reflète pas l’expérience de ceux qui vivent ces cycles de mouvement de va-et-vient. En tant qu’instruments d’analyse supprimés, ils peuvent laisser les participants du monde réel avoir des craintes froides. En effet, bien que les théories sur les mouvements sociaux contiennent de nombreuses informations utiles, la plupart ne nous aident pas dans le flux des mouvements sociaux vivants qui respirent, à mesure qu’ils grandissent et changent avec le temps.

On pourrait en toute aise y voir également une progression des mouvements réussis. Au cours de ces étapes, les militants sensibilisent un grief, puis s’organisent dans leurs efforts, s’engagent dans la confrontation et s’efforcent enfin de consolider leurs acquis. Cependant, nous serons beaucoup plus sensibles à la psychologie de ceux qui doivent lutter pour faire avancer une cause. On peut avancer l’exaltation des moments où, à la suite d’un événement déclencheur dramatique, les protestations éclatent, et du jour au lendemain un problème social jusque-là non reconnu devient un problème social dont tout le monde parle. Ce modèle s’attaque en détail aux conséquences souvent difficiles de ces moments forts.

Enraciné dans une expérience durement acquise, le travail collectif ou individuel de militants du Printemps 1980, par exemple, est attentif aux différents rôles et personnalités qui peuvent aider ou entraver un effort à un stade donné de son développement. Beaucoup ont veillé à mettre en garde contre les pièges courants qui empêchent le mouvement de réaliser ses objectifs. Ironiquement, ce sont ces facteurs qui ont permis au Mouvement culturel berbère de gagner sa popularité.

Le plus gros doute vient généralement avec la phase correspondant au moment où les mouvements de protestation décollent, organisent des manifestations captivantes et connaissent une croissance rapide. Mais ce qui vient ensuite n’est pas une marche facile vers le succès. Au lieu de cela, la vague d’activités est suivie de perception de l’échec. A ce stade, il y a un paradoxe. Les militants se sentent généralement abandonnés après la baisse du pic d’activité. Pourtant, c’est juste au moment où ils pourraient être sur le point de récolter des gains importants.

Après un an ou deux, les espoirs de victoire instantanée dans la phase de démarrage du mouvement se transforment en désespoir alors que certains militants commencent à croire que leur mouvement est en train d’échouer. Il n’a pas atteint tous ses objectifs et, à leurs yeux, il n’a eu aucune vraie victoire. A ce stade, beaucoup de gens s’épuisent ou décrochent à cause de l’épuisement causé par le surmenage, les longues réunions et la fatigue de la routine. En outre, les médias influencés par le pouvoir en place renforceraient un air de négativité en insinuant, par exemple, que depuis que les manifestations ont diminué, le mouvement commence à voir sa mort venir et n’aura rien accompli. Tout cela se combine pour créer une prophétie auto-réalisatrice qui empêche ou limite le succès d’un mouvement.

En identifiant la perception de l’échec comme une partie normale des cycles de mouvements sociaux, nous pouvons espérer atténuer la force négative de cette étape. Les activistes qui se tournent vers l’histoire verront qu’ils ne sont pas les seuls à éprouver la déception. Et ils remarqueront également que les mouvements passés qui ont réussi à surmonter le découragement ont fini par voir se réaliser nombre de leurs revendications autrefois lointaines.

La clé est de prendre du recul et de préparer la prochaine étape – celle dans laquelle les militants et animateurs bénéficient de la sensibilisation accrue du public créée par leurs manifestations précédentes et dans laquelle leurs propositions de solutions alternatives ont plus de chances de trouver un public réceptif. Mais, les perceptions des échecs sont-elles nécessairement irrationnelles et erronées ? Clairement, il y a une problématique ici.

Alors que tout le monde aime se faire dire qu’il gagne, les réassurances blasées ne sauraient remplacer une analyse réelle. Il est possible de mal interpréter l’idée que si vous sentez que votre mouvement faiblit, vous devez simplement attendre un peu plus longtemps et les choses vont s’arranger. C’est une idée réconfortante, mais également fausse. Le destin de certains mouvements consiste simplement à échouer lamentablement ; le hirak, soyons avertis, pourrait être l’un d’entre eux si la cadence diminue et que le mouvement faut à s’organiser plus intelligemment et pragmatiquement. La question est donc de savoir comment déterminer quand le pessimisme est mal placé et comment évaluer les progrès réels.

La réponse est simple et contre-intuitive : les mouvements réussissent quand ils gagnent un soutien toujours plus grand du public pour leur cause. C’est un point que nous répéterons constamment et régulièrement. Les mouvements sociaux dits populaires impliquent une lutte à long terme entre leurs parties prenantes et les détenteurs du pouvoir pour le cœur, l’esprit et le soutien de la majorité de la population. Par conséquent, le travail des militants intègres consiste à alerter, éduquer et conquérir une majorité toujours croissante du public. Sans une prépondérance de sympathie de la part du public, un mouvement populaire ne peut pas prévaloir. Parce que c’est finalement le peuple qui détient le pouvoir, il va soit préserver le statu quo, soit créer un changement. Ces propositions semblent peut-être évidentes à première vue.

Mais en réalité, elles représentent un sérieux défi à la manière dont la plupart des gens perçoivent la vie politique. En politique conventionnelle, il ne s’agit pas de gagner la majorité du public ni de transformer le climat de débat sur une question. Les négociations se déroulent plutôt dans les domaines du possible et de l’expédient. Les groupes d’intérêts consacrent la majeure partie de leur énergie à faire pression sur les élites détentrices du pouvoir pour qu’elles accordent des faveurs ou fassent des concessions. Le succès est mesuré par leur capacité à exploiter le pouvoir afin de gagner des gains supplémentaires sur les problèmes qui les intéressent. Le changement social, dans ce paradigme, résulte de la lente accumulation de ces victoires calculées et instrumentales.

La perception d’un échec est justifiée lorsque des mouvements s’aliènent des supporters potentiels. Lorsque les périodes de pointe de l’activité de protestation s’essoufflent, certains activistes que nous appellerons les «rebelles négatifs» risquent de recourir à l’avant-garde insulaire. Se concentrant uniquement sur la construction d’un noyau radical plutôt que sur la persuasion du monde extérieur, ces acteurs plaident en faveur d’une tactique toujours plus dramatique faisant appel à la sensibilité militante de participants et de militants mécontents, mais peu attrayante pour des observateurs qui ne font pas déjà partie des convertis.

Lorsque cela se produit, un mouvement devient de plus en plus marginal et les craintes de manque de pertinence ne sont pas mal placées. D’autre part, les mouvements qui créent un soutien populaire n’ont pas à s’inquiéter si leur moment initial sous le feu des projecteurs est dépassé et si les médias instables tournent leur attention ailleurs.

Bien qu’ils puissent manquer l’enthousiasme et l’énergie de la période précédente, ils ne devraient pas accepter l’idée qu’ils sont devenus sans importance. Tant qu’un mouvement a gagné une plus grande part de sympathie du public à la suite de ses efforts, ses activistes sont bien placés pour faire pression pour un plus grand changement. Cet effort implique généralement une éducation publique continue, un plaidoyer en faveur de solutions du mouvement et la volonté de déclencher de nouvelles vagues de protestation lorsque les opportunités se présenteront.

Les militants des mouvements populaires sont notoirement pauvres pour célébrer leurs victoires. Cette étape dont on parle peu n’est pas le seul point où ils sont souvent enclins au désespoir. Ironiquement, lorsque les mouvements commencent à donner des résultats concrets, il est encore courant de voir les participants à nouveau souffrir de déception ou de dépression. A ce stade, avec une forte majorité de la population en faveur d’une question, les opportunistes s’épanouissent. Les politiciens traditionnels, les organisations centristes, les anciens critiques et les courtiers de pouvoir, jadis récalcitrants, se bousculent pour prendre le crédit des progrès réalisés.

Malgré des années de murailles, de silence et de timidité, ces personnes en Algérie insistent sur le fait qu’elles aussi sont repoussées par la ségrégation ; qu’elles sont vraiment attachées à la protection des libertés et des identités ; qu’elles croient fermement en l’égalité et la justice ; et que la «guerre» qu’elles avaient autrefois endossée était en réalité la folie erronée de leurs opposants politiques. Souvent, les mouvements reçoivent peu de crédit pour avoir provoqué de tels changements par la force de caractère qui fait supporter la souffrance ou braver le danger. Ceux qui en ont le plus fait partie risquent de ne pas être présents dans les partis de la victoire et sont également ceux qui ont le plus de mal à prendre conscience du travail qui reste à faire.

Caractéristiques édifiantes des protestations massives actuelles

La première, c’est la diversité des lieux. Contrairement aux dernières grandes vagues de manifestations dans les années 80’, 90’ et 2000, les manifestations en 2019 se multiplient dans toutes les régions d’Algérie et dans tous les types de contextes politiques. La deuxième caractéristique est le déclencheur national. La vague de manifestations du movement populaire du 22 fevrier est principalement déclenchée par des préoccupations des décisions politiques ou économiques et non par des problèmes sociaux ou culturels ou identitaires qui animaient certaines manifestations précédentes. Enfin, il y a les causes habilitantes à long terme.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les transitions démocratiques troublées et la régression démocratique, les mutations économiques et la croissance des organisations de la société civile ont créé un environnement national propice aux manifestations. Donc, les formes, les méthodes et les objectifs du mouvement hirak représentent une nouvelle forme de politique. L’idée de révolte sans cause ne s’applique pas ici puisque le hirak a des griefs et des objectifs spécifiques, à slogans complémentaristes et volonté de remembrement societal et territorial.

Nous savons que de nombreux gouvernements, parfois issus de légitimité dite limitée ou douteuse, confrontés à des manifestations, ont été en mesure de les vaincre sans faire de concessions politiques significatives, mais les exceptions à cette règle, telles que celles vécues en Algérie de 2019, revêtent une importance notable. Les résultats seront variables lors du passage de la protestation au pouvoir. Bien que certaines manifestations politiques par le passé aient échoué à traduire leur énergie en un renforcement durable des institutions, d’autres ont conduit à la création de nouveaux partis politiques ou ont eu une incidence marquée sur les scrutins ultérieurs.

Un élément frappant des premières réponses au mouvement est la fréquence et la régularité avec lesquelles des dirigeants blâmaient l’étranger pour les manifestations. Cela reflète, entre autres facteurs, l’incapacité des dirigeants à croire qu’il existe dans leur pays un véritable secteur civique avec des voix légitimes et indépendantes. Ces dirigeants ne considèrent pas simplement des manifestants comme des agents étrangers.

Ils entreprennent également des actions concertées pour fermer les espaces permettant aux organisations de la société civile de se constituer et de fonctionner. Parallèlement aux protestations croissantes de ces dernières années est venu le phénomène bien documenté et désormais très discuté de la fermeture des espaces médiatiques et de la société civile. Ces efforts visant à l’étouffement comprennent généralement un éventail de mesures formelles et informelles, allant de la législation restrictive à la diabolisation publique des acteurs de la société civile.

Les manifestations du hirak ont été des événements profondément importants dans les régions où elles se sont déroulées. Ce sont des rassemblements à grande échelle de citoyens déterminés à défier les politiques ou les structures de pouvoir fondamentales. Les manifestants se sont préparés à faire face aux mauvais traitements qu’infligent les forces de sécurité et à la répression parfois brutale.Il est donc difficile de ne pas avoir le sentiment, à partir de ces événements, que quelque chose de majeur s’est preparé ou se prépare dans la politique nationale. Il semble qu’une nouvelle ère de flux politique se dessine, alors que les citoyens exigent davantage du pouvoir et se mobilisent pour répondre à leurs revendications.

Puissance non conventionelle du Hirak

Obtenir une emprise analytique sur cette vague de contestation est essentiel pour les décideurs et les observateurs politiques. Pourtant, certains médias occidentaux dans leurs comptes rendus du hirak révèlent un manque de compréhension profonde et, dans certains cas, de malentendus actifs. Les manifestations quotidiennes ou hebdomadaires ont tendance à se ressembler de manière fondamentale, ce qui encourage des analogies simplistes dans des contextes très différents.

Ce sont des événements photogéniques qui attirent naturellement l’attention intense des médias aux moments forts. Cette attention s’estompe rapidement lorsque les manifestations passent, laissant les différences de motivations, d’implications et de résultats mal examinées. Les observateurs ont tendance à se concentrer sur quelques-unes des manifestations les plus frappantes et à tirer des conclusions générales qui sont ensuite appliquées de manière trop radicale à l’ensemble des événements. En tant que correctif, il est nécessaire de prendre du recul pour visualiser le paysage général des manifestations et explorer ses nombreuses diversités et complexités. Notre question de départ est la plus fondamentale : le hirak représente-t-il réellement une puissance de la fréquence par rapport au passé ?

Il a été exceptionnellement étendu temporellement et intense à tous les endroits du pays. L’Algérie n’a pas connu autant de mobilisation depuis son indépendance. La capacité sans cesse croissante des médias électroniques à s’introduire dans les manifestations et à les porter à l’attention del’opinion mondiale augmente l’impression des tendances globales. Il y a à la fois les déclencheurs à court terme et les conditions favorables à long terme. Certains observateurs ont mis en lumière la dimension anticorruption, soulignant la colère des citoyens face à la corruption systémique et leur volonté de se rendre dans la rue à ce sujet. D’autres observateurs se sont penchés sur la dure réalité politico-économique comme fil conducteur du hirak.

Les manifestations prennent de nombreuses formes différentes et provoquent l’émergence de protestation dirigée par un groupement national spontané, sans dirigeant, peu attaché aux groupements politiques ou aux idéologies traditionnelles. Une grande partie des activités de protestation semble être alimentée par les nouvelles technologies de la communication, mais n’aborde que peu de vision du renforcement des institutions ou d’objectifs spécifiques allant au-delà du rejet des élites existantes et des structures de pouvoir établies.

En effet, la rue, l’endroit idéal pour réunir ces forces politiques nouvellement constituées en réseau, collaborer et faire pression pour le changement, bouleverse véritablement la politique et la géopolitique traditionnelles. Le hirak représente une sorte d’anti-politique ayant de profondes implications pour la pensée conventionnelle sur l’organisation politique et le changement.

Bien que la sagesse conventionnelle à propos de la protestation nationale ne soit pas tout à fait fausse, bon nombre des idées les plus courantes à ce sujet sont appliquées de manière trop générale. L’hétérogénéité des manifestations à travers tout le pays est l’une de leurs caractéristiques fondamentales et que la tentation de tirer des conclusions radicales sur ce qui se passe peut conduire à une vision déformée. La montée en flèche des marches est en train de devenir une tendance majeure de la politique nationale, mais il faut redoubler d’attention pour déterminer avec précision la nature et l’impact du phénomène.

L’absence de solutions bien développées ou mûries ou de messages politiques cohérents est la problématique même des manifestations créatives actuelles menées artistiquement, habilement, dans un multilinguisme, et avec des méthodes des plus innovatrices. Cependant, le préalable de la non-violence a été transformé et suivi en protestation tranquille cohérente. Ces manifestations, qui affirment des schémas d’une Algérie nouvelle libre, sont conçues pour être une sorte de théâtre de masse qui déclenche de plus grandes vagues de contestation.

C’est la politique transgressive qui vient submerger la politique civile. Le hirak joue donc un rôle plus rationalisé dans la construction d’une identité collective que les mouvements précédents n’ont pu atteindre, car il cherche à favoriser une identité d’hostilité systémique mais subtile à l’égard du pouvoir de l’Etat. Autrement dit, la propagation des manifestations à l’échelle nationale reflète un changement fondamental dans les relations entre les citoyens et l’Etat : une forme de politique démocratique plus délibérative est en train de se forger dans le creuset des manifestations. Elles sont à la base d’une nouvelle forme de démocratie moniste dans laquelle la principale fonction participative des citoyens consiste en une surveillance continue de l’évaluation de l’action de l’Etat, en challenger, voire concurrente des institutions existantes.

Le phénomène nécessite un changement de paradigme dans la façon dont certains analystes comprennent la démocratisation aussi bien en Algérie que dans la diaspora. Un élément commun de cette représentation du hirak comme nouveau et différent mode est le fait qu’il n’a qu’un rapport lointain avec les organisations conventionnelles établies de la société civile. Les manifestations ne sont certes pas des campagnes à long terme mais de courte durée, donc révoltes vivantes. Dans cette perspective, un type différent d’activisme civique est à l’œuvre.

Etablir une ligne de démarcation claire entre les personnes qui sont impliquées dans l’organisation des marches et les partis politiques formalisés serait une simplification excessive qui ignore la nature hétérogène de la société civile dans toute l’Algérie.Certains partis proches des centres décisionnels constituent un cercle de groupes d’action basés sur le capital qui ne s’aventurent pas dans la sensibilisation, la mobilisation ou d’autres éléments constitutifs du travail de protestation, se confinant souvent dans des affinités ou ce qui peut être perçu comme transactions politiciennes influentes.

Si l’on jette un coup d’œil derrière l’éruption du hirak, ce qui frappe, ce n’est pas tant la spontanéité de tels événements que les preuves indiciaires d’années de mouvements précédents, particulièrement depuis avril 1980, qui ont jeté les bases des actions. Cependant, il faut retenir que différents mouvements de protestation ont été motivés par des facteurs très différents et aucun facteur causal ne domine. La protestation massive d’aujourd’hui est en partie le reflet de la lassitude des citoyens face à la corruption, en partie du legs des crises politiques passées et en partie du rejet généralisé de la classe politique qui ignore l’alternance.

De plus, plusieurs pilotes sont présents au cours du mouvement de ce que nous pourrions convenir d’appeler une même et unique manifestation. De nombreux changements intervenus au cours des dernières décennies ont contribué, ou poussé, à la montée du hirak. Ces changements incluent la prolifération du concept et de la pratique d’un activisme civique indépendant, la diffusion des technologies de communication, la croissance de nouvelles classes, et la stagnation croissante et les pressions sur les classes moyennes existantes. Pourtant, aucun de ces facteurs ne capture une essence singulière de la vague de protestation ; les événements sont un océan de complexité causale.

En ce qui concerne les résultats obtenus par le hirak, il convient de réfléchir avec un degré de méfiance sur les propositions avancées par certains analystes des médias internationaux et nationaux, selon lesquelles les manifestations auraient pour objectif de détruire les structures de pouvoir, mais non de parvenir à un changement politique durable. Et il faut être prudent d’accepter toute conclusion définitive, soit que les manifestations remodèlent le monde moderne, soit qu’elles ne font beaucoup de bruit pour rien.

Nous sommes informés par les résultats politiques des principales manifestations de ces dernières années : peu d’impact perceptible ; pas de changement dans le système politique ou de la mentalité publique qui pourrait présager de futurs changements politiques ; l’éviction de processus démocratique ; coups anti-démocratiques ; «guerre civile» ; et bazar politique et économique généralisé. Si certains mouvements de protestation se sont effectivement effondrés dans la tâche de transformer leur énergie en un engagement politique soutenu, d’autres ont progressé dans ce domaine.

La politique dans chaque coin du pays depuis quelques années a été définie par un assortiment déconcertant de modèles et de tendances contradictoires, non seulement éloignés de la démocratie, mais également dans d’autres directions encore mal définies. Les flux politiques ont remplacé la transition politique en tant que monnaie contemporaine de changement politique, définie par le risque, l’imprévisibilité, la mutabilité et la multiplicité. Il y aura donc toujours des craintes légitimes des hauts et des bas des mouvements comme le hirak.   

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