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Algérie: quel rôle pour l'armée dans la transition démocratique?

TELOS, le 06 mai 2019

Mardi 2 avril, le chef d’état-major de l’Armée nationale populaire a demandé l’application immédiate de l’article 102 de la Constitution, qui prévoit la destitution du chef de l’État. « Nous estimons qu’il n’y plus lieu de perdre davantage de temps et qu’il faut appliquer immédiatement la solution constitutionnelle proposée, à savoir la mise en application des articles 7, 8 et 102 et entamer le processus garantissant la gestion des affaires de l’État dans le cadre de la légitimité constitutionnelle », a déclaré Gaid Salah au cours d’une réunion de l’état-major de l’ANP. Deux heures après cette déclaration, le président Bouteflika a remis sa démission dans une lettre adressée au Conseil constitutionnel. Que l’armée s’ingère dans les affaires politiques n’est pas une première dans l’histoire de l’Algérie. L’institution militaire a toujours été la colonne vertébrale du régime depuis 1962. Elle a installé et destitué tous les présidents qui se sont succédés, sans exception. Avec la démission de Bouteflika l’institution militaire entend maintenir un système dont elle est le pilier central, soit en assurant la stabilité du processus de transition, soit en le guidant elle-même.  Comparé aux coups d’Etat passés, cette fois-ci le peuple algérien lui-même a demandé cette destitution et exige une vraie transition démocratique. Ainsi se pose la question : est-il possible que l’armée joue le rôle d’obstétricienne de la démocratie en Algérie ?

Les institutions militaires entre transition guidée et transition négociée

L’institution militaire ne peut être exclue de l’architecture de l’État avant la transition démocratique. Il est donc logique que certains de ses membres adoptent des attitudes conservatrices. Les militaires agissent souvent comme une force politique dans les coulisses ou comme une sorte de façade quasi civile. Les armées se caractérisent par le fait qu’elles détiennent certains privilèges comme le droit, formel ou informel, d’exercer un contrôle effectif sur la gouvernance interne, de jouer un rôle dans les domaines extramilitaires au sein de l’appareil étatique.

La résistance des militaires à la démocratie dépendra de leur degré d’implication directe dans l’élaboration des politiques et la répression, ainsi que de leur degré d’institutionnalisation dans le régime autoritaire. En Italie, au Portugal, en Espagne ou en Tunisie l’armée n’était pas directement impliquée dans l’appareil administratif de l’État. Ce n’est pas l’armée, mais la police qui était responsable de la répression. Cela a facilité leur acceptation éventuelle de la démocratisation. En Amérique latine et en Grèce, il existait un lien direct entre l’armée, l’appareil administratif et la répression, ce qui les a rendu moins disposés à permettre la démocratisation.

D’autre part le degré d’institutionnalisation d’une armée détermine son rôle dans les transitions. Les militaires au Chili et au Brésil ont nettement déterminé les modalités de la transition, tandis que les militaires moins institutionnalisés d’Argentine, d’Uruguay et du Pérou ont dû faire des concessions à l’opposition pour tenter de conserver une partie de leur pouvoir. L’armée algérienne peut être caractérisée comme une armée institutionnalisée. Ce que veut dire qu’elle va vouloir déterminer les modalités et les règles de la transition.

Outre les différentes formes de régime militaire et de leurs engagements politiques, on peut faire une distinction entre les militaires professionnalisés et les militaires patrimoniaux ou rentiers. Une armée professionnalisée a une identité corporative distincte de celle de l’État, tandis que l’identité d’une armée rentières est intégrée à celle d’un régime autoritaire. La première est distinguée par les principes bureaucratiques, gouvernée par des règles, prévisibles, méritocratiques et la hiérarchie est basée sur le mérite. Les organisations militaires patrimoniales/rentières sont dirigées par le copinage et se caractérisent par une corruption généralisée, l’abus de pouvoir, le favoritisme. Ainsi une organisation militaire patrimoniale/rentière est donc particulièrement résistante aux réformes démocratiques.

Un autre facteur déterminant consiste en les garanties que le gouvernement civil fait aux militaires. Dans les régimes autoritaires militarisés, comme en Turquie, au Portugal, au Chili, au Brésil, au Nicaragua, au Pérou et en Uruguay, les militaires ont continué à exercer leur influence et leur pouvoir après l’élection d’un gouvernement civil. Les militaires de ces pays ont insisté sur les points assurant l’irréversibilité de certaines actions du régime militaire et garantissant à l’armée son autonomie en ne donnant au gouvernement élu aucun contrôle sur le personnel et les finances militaires. Ils s’autorisent à intervenir en politique en cas d’urgence.

L’armée et la transition en Algérie

Même si la haute hiérarchie de l’institution militaire est très critiquée par le peuple algérien, l’institution militaire jouit d’un grand respect et d’une légitimité hérite de l’armée de libération nationale. Bien que le rôle des militaires durant la décennie noire fût ambivalent, l’institution militaire n’est pas vue comme l’instrument de répression. Les répressions contre les individus étaient plutôt dévolues aux services de sécurité, la police et la gendarmerie. Cela facile l’acceptation de l’institution militaire comme acteur de la transition.

L’armée algérienne comme toutes autres institutions de l’État est une institution dépendante des rentes énergétiques. L’Algérie est un État rentier par excellence : les hydrocarbures représentent 35% du PIB, 75% des recettes budgétaires et 95% des recettes d’exportation. Le budget du ministère de la Défense a connu des augmentations astronomiques depuis l’arrivée de Bouteflika au pouvoir. La loi des finances de 2019 prévoit un budget de 12 milliards de dollars pour l’armée. Une variation de plus de 320% par rapport au budget de 2000. Le budget militaire représente désormais près de 25% du budget de l’État. Selon le classement 2016 de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, par son budget militaire l’Algérie est la 17e puissance militaire mondiale et la première d’Afrique. Ainsi l’armée algérienne est l’une des institutions qui profite le plus de la rente gazière et pétrolière. Selon le Centre de ressources et d’information sur l’intelligence économique et stratégique, l’armée algérienne investit massivement ses ressources au profit du développement de son industrie de défense. Jusqu’à fin 2019, plus de quarante usines et près de 30 000 emplois dans le secteur verront le jour. Ainsi l’armée algérienne est une armée rentière et patrimoniale. Ceci explique l’ingérence de l’armée dans la politique et les affaires pour s’accaparer sa part de la rente.

En plus de son caractère patrimonial, l’armée algérienne est confrontée, comme beaucoup d’armées dans le sud global, aux conflits de génération et aux divergences que véhiculent les pluralités des formations militaires à l’étranger et donc les différentes socialisations de ses officiers.

Les divergences entre les fractions de l’armée algérienne ont vu le jour durant la guerre de libération déjà. La présence dans l’Armée de libération nationale d’un nombre important d’officiers et sous-officiers démissionnaires de l’armée française (DAF) entre 1958 et 1963 constitue un des facteurs majeurs de l’organisation de cette armée. Après 1962 s’ajoute la différence entre les anciens maquisards et les officiers formés dans les académies militaires syriennes, égyptiennes ou irakiennes. Les DAF, qui ont suivi après l’indépendance des formations en France, ont tous complété leur cursus par des séjours en Union Soviétique, dans un cadre culturel et idéologique radicalement différent. Les différentes socialisations s’expriment sous de différents labels comme les nationalistes versus professionnalistes, relations du militaire avec la politique ainsi les questions de modernisation de l’appareil militaire et d’orientations stratégique. Ainsi on peut imaginer qu’il n’existe pas une vision commune au sein de l’appareil militaire quant à son propre rôle dans la transition. Durant les dernières années on a vu monter de jeunes officiers plus professionnels, plus techniciens et dotés d’un niveau plus élevé de formation que leurs ainés.

La professionnalisation des forces armées a commencé après l’expérience de la guerre civile. Cette professionnalisation consiste en donner une nouvelle image à l’armée en matière de communication et de sa présence dans les médiats. L’expérience de la guerre civile a ouvert beaucoup d’opportunités à l’échelle internationale. Dans le cadre des alliances internationales dans la lutte contre le terrorisme l’armée algérienne est devenue un partenaire indispensable. Ceci a permis de diversifier les lieux des formations militaires à l’étranger et d’avoir accès à un matériel militaire sophistiqué.

L’armée algérienne, c’est devenue visible sous Bouteflika, ne manifeste pas un intérêt profond pour s’ingérer directement dans les affaires politiques. Mais un élément unit toutes les générations d’officiers : préserver l’autonomie financière vis-à-vis du pouvoir politique en s’assurant l’accès à une partie de la rente. Le deal avec le clan Bouteflika parait être que l’armée ne s’ingère plus directement dans la politique en contrepartie elle acquiert une indépendance économique totale et peut même installer sa propre industrie.

Revenant au-devant de la scène politique en forçant le clan Bouteflika à quitter le pouvoir et voulant guider la phase de transition, la haute hiérarchie risque de se faire discréditée. Dans son discours du 10. Avril 2019 le Général de Corps d’Armée Ahmed Gaïd Salah s’est permis deux manœuvres : il menace le mouvement populaire avançant la thèse du complot étranger tout en promettant au peuple algérien de prendre les dossier de la corruption dans la main. Pour la première depuis le début des manifestations le 22 février, les manifestants scandent le 14 avril 2019 le départ du général lui-même. Ainsi c’est clair que la feuille de route de transition que l’armée a voulue imposée est rejetée par le mouvement. Deux hypothèses sont possibles : l’armée va perdre sa position clé dans la phase de transition qui pourrait finir par un conflit entre l’armée et le peuple ou le général Gaid Salah perds son soutien au sein de l’institution militaire.

Références

  • Aguero, Felipe (1998), “Legacies of Transitions: Institutionalization, the Military, and Democracy in South America”, Mershon International Studies Review, 42(2), pp. 383-404.
  • Bellin, Eva (2004), “The Robustness of Authoritarianism in the Middle East: Exceptionalism in Comparative Perspective”, Comparative Politics, 36(2), pp. 139-157.
  • Finer, Samuel E. (1962), The Man on Horseback: the role of the Military in Politics, London, Pall Mall Press.
  • O’Donnell, Guillermo and Phillipe C. Schmitter (1986), Transitions from Authoritarian Rule: Tentative Conclusions about Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins Press.
  • Stepan, Alfred (1988), Rethinking Military Politics: Brazil and the Southern Cone. Princeton, Princeton University Press.
  • Meijer, Rozetta (2014) The Role of the Military in Political Transitions. Egypt: a Case Study.

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