Je ne cesse de m’émerveiller par l’importance de la mobilisation, la diversité, l’énergie, le civisme et le patriotisme de notre jeunesse à laquelle s’est jointe une population de plus en plus nombreuse. Elle marque toute sa spécificité tant au niveau national qu’international.

C’est ainsi par exemple qu’elle se distingue de toutes les mobilisations post-indépendance en évitant adroitement et avec maturité les risques d’affrontements, parfois même violents, entre différentes chapelles culturelles, linguistiques et idéologiques que l’Algérie a connus par le passé. Son unité prédomine dans la diversité, d’autant qu’elle a adopté une démarche effectivement pacifique, «selmya», pour exprimer sa soif de démocratie, de justice sociale et d’épanouissement citoyen. Ce faisant, notre jeunesse cherche à restaurer le lien, maintes fois rompu, entre ses prestigieux aînés que sont Larbi Ben M’hidi, Abane Ramdane, Hassiba Ben Bouali, Mustapha Ben Boulaïd, Djamila Bouhired et Louisa Ighilahriz — ces deux dernières encore vivantes —, et elle-même. Elle fonde ainsi un réel espoir de réconciliation de la société algérienne avec son histoire immédiate, tout en se projetant dans le futur.

Parce que souvent évoquée, la loi fondamentale les intéresse. Le nombre d’exemplaires vendus a battu un record. La jeunesse se penche davantage, avec un esprit critique, sur tout ce qui régit le pays ; elle veut notamment mieux connaître les règles du jeu et le mode de fonctionnement réel de sa société, comme en témoigne la multiplication des rencontres, des conférences et des débats un peu partout à travers le pays. Pour construire ce qui sied le mieux à ses légitimes aspirations, elle s’approprie progressivement la politique au sens noble du terme dans ses divers aspects, alors qu’elle semblait, jusque-là indifférente à «la chose politique».

Elle transforme ainsi la perception de l’image de l’Algérie dans le monde en suscitant admiration et espoir auprès de très nombreux pays.

Pour toutes ces raisons au moins, une telle mobilisation de notre jeunesse constitue, pour elle-même et pour l’ensemble de la société, l’opportunité du XXIe siècle. Nous gagnerons tous à l’accompagner lorsque nécessaire, sans se substituer à elle. La préservation de la mobilisation et l’implication effective de cette jeunesse constituent une condition essentielle à un réel développement économique et social, entravé par les politiques menées jusqu’à présent et par l’absence de réformes structurelles pourtant si nécessaires. Ces dernières auraient dû être menées dans le contexte d’aisance financière que le pays a connu et, partant, à moindre coût social. Mais très souvent c’est la rareté qui impose la rationalité.

Il ne faudrait surtout pas «mettre sur le dos» de la mobilisation actuelle une telle rareté, déjà apparente et devant s’aggraver dans le proche avenir, car ce serait oublier la nature de notre économie, maintes fois rappelée. Elle est fondamentalement dépendante des hydrocarbures. L’inquiétude viendrait donc de tendances internationales des prix du pétrole, plutôt défavorables, de l’épuisement consécutif des réserves de change dépensées de manière inefficace et des conséquences de politiques internes, inappropriées, appliquées précédemment. Nous pensons, par exemple, à celle du «financement non conventionnel» : parce que porteuse d’un risque de forte inflation, véritable fléau économique et social, une telle politique pourrait fragiliser davantage l’économie et appauvrir des franges importantes de la population. La conjugaison de tous ces facteurs, «ceterisparibus» (toutes choses étant identiques par ailleurs), aggravera inéluctablement la situation économique et sociale de notre pays.

Bien entendu, la période actuelle n’incite pas à investir, à entreprendre, par manque de visibilité.

Aussi, c’est surtout parce qu’il devient urgent de mettre en œuvre un processus de diversification économique effective, par la mise en œuvre de réformes structurelles dans différents domaines qu’il est souhaitable de réunir, le plutôt possible, les conditions de préparation et d’organisation d’une première élection présidentielle libre et indépendante. C’est dans ce sens que «temps politique» et «temps économique» sont articulés. On pourrait toujours opposer à cette argumentation l’objection suivante : «si pendant tant d’années, nous nous sommes abstenus de mener de véritables réformes, ces dernières peuvent bien attendre quelques mois supplémentaires.» Cela signifierait qu’aucune leçon n’aura été tirée de l’échec de l’expérience des dernières années ; nous aurons intérêt à nous inspirer plutôt des bonnes pratiques, pour construire notre avenir.

Quoi qu’il en soit, pour la tenue d’une telle élection, un appel au dialogue a été officiellement formulé. Nous savons qu’il est la voie la plus vertueuse pour obtenir une solution satisfaisante, sagesse oblige. Toutefois, dans la mesure où celle-ci est souvent perçue comme le monopole des anciens, elle risque d’être également considérée comme source de prudence, elle-même perçue comme porteuse de lenteurs ; d’où l’importance de la participation à ce dialogue de la jeunesse qui ne cesse de se distinguer par l’audace, l’intelligence et la détermination pour le changement. Ce dernier pourrait également être perçu comme une exigence «Hic et nunc» (ici et maintenant), avec tous les risques qu’elle comporte. Aussi, c’est l’intelligence collective dont feront preuve les différents participants à ce dialogue qui pourrait permettre d’avancer ensemble pour le meilleur.

Mais nous savons également que la confiance constitue le fondement et le moteur de toute société. Or, une telle confiance a été rompue entre les citoyens et les dirigeants. Aussi, pour que l’appel au dialogue puisse produire tous ses effets, des concessions de part et d’autre devraient être consenties. C’est ainsi, par exemple, que la demande du départ de tous (Irouhou ga3) ne devrait concerner en vérité que les «corrompus» dans la mesure où l’immense majorité des cadres a toujours fait preuve de dévouement et d’intégrité ; la société devrait plutôt les préserver tandis que la nuance rendrait la demande plus crédible. C’est ainsi également que différentes expériences, à travers le monde, ont montré que de hauts responsables, parce que non acceptés par le plus grand nombre, ont su ou dû se retirer au nom de l’intérêt supérieur du pays. L’exercice de leurs droit et devoir ne constitue alors pas un renoncement à leur liberté.

Bref, C’est au prix de compromis réciproques construits avec responsabilité et d’une concentration sur ce qui unit qu’on pourrait mettre sur pied une entité composée d’hommes et de femmes dévoués, compétents et transcendant toute idéologie. Une telle entité, nécessairement indépendante, veillera à l’organisation et au déroulement de l’élection présidentielle, libre et transparente.

En rompant avec les anciennes pratiques, cette élection accomplira un saut qualitatif en permettant l’instauration d’un climat politique plus favorable à la réalisation du programme sur la base duquel le prochain Président sera élu. Un tel programme devrait expliciter la nature et les modalités, organisationnelles, temporelles et techniques de réalisation des réformes nécessaires à la transformation du paysage actuel sur les plans politique, juridique, institutionnel, économique et culturel. Les citoyens l’auront ainsi préféré à d’autres candidats, librement et en toute connaissance de cause.

Nous ne devons cependant pas laisser croire que cette élection mènera systématiquement, de manière linéaire, au développement économique et social et que la prospérité est à portée de main. Nous n’aurions alors pas rompu avec l’ancienne pratique de transmission des illusions. Des études ont montré, à la lumière de différentes expériences, que le développement économique et social d’un pays «résulte davantage des interactions entre le capital humain, le capital institutionnel et le capital spirituel (culturel)». Or, compte tenu de l’état actuel de ces domaines dans notre pays, surtout sur le plan qualitatif, nous serons amenés à faire preuve d’efforts, de sacrifices et de patience avant de commencer à entrevoir les signes d’une prospérité plus durable, sans comparaison aucune avec celle issue d’une économie rentière.

Considéré sous cet angle, le slogan chanté le vendredi, «netrabaou ga3» (nous devons tous nous éduquer, au sens large du terme), traduit un besoin de citoyenneté et une prise de conscience pleins d’espoir ; il est pour cela au moins d’une portée multiforme et extraordinaire. Sa réalisation exige, toutefois, l’établissement d’une relation rénovée entre l’État et le citoyen, par un changement de comportements de l’un et de l’autre afin d’engendrer une réelle source d’autonomie et d’émancipation individuelles et sociales.

Ainsi, un gouvernement, composé essentiellement de jeunes dont la compétence est avérée et qui a la confiance du plus grand nombre possible, a plus de chances de mener à terme les réformes des institutions, de l’économie et du système éducatif, notamment dans un contexte de rareté des ressources.

Tout compte fait, si le temps politique est une condition essentielle à la réussite du temps économique, il ne saurait survivre à l’échec de ce dernier, comme l’histoire l’a montré à maintes reprises. Les gains de productivité devraient être en effet la principale source de croissance économique et de prospérité équitablement répartie. Les deux temps devraient ainsi contribuer à la stabilité du pays, à la cohésion de la société dont le fondement est la confiance partagée par tous. 

 

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